Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appauvrit, ce sont les pauvres ; lorsque, pour punir un prêtre qui résiste à des injonctions administratives, on fait une retenue sur ses émolumens, c’est aux malheureux de sa paroisse que l’on porte un préjudice matériel bien plus qu’à lui-même. J’ai vu vivre de près certains « princes de l’église » et j’en suis resté surpris ; maigre chère, à peine suffisante, dont plus d’un sous-chef de bureau ne se contenterait pas, mais qui permet du moins de recueillir les orphelins, de distribuer des soupes aux indigens, et d’ouvrir des asiles aux vieillards. Cela se passe ainsi bien près de nous et je crois pouvoir affirmer qu’il en est de même dans toute la France. Si la charité recherche la misère, elle ne recule pas toujours à l’aspect du crime : « Entrez, disait un prêtre à un général communard qu’il ne connaissait pas et qui venait de se nommer ; entrez, les églises ont été lieux d’asile : vous êtes en sûreté chez moi. » N’est-ce pas dans la maison des Moulineaux, occupée par les jésuites, qu’un membre du comité central a pu se cacher après la défaite de sa bande ? L’esprit de parti peut avoir intérêt à ne point ménager les calomnies, mais l’esprit de justice enseigne à les répudier.

Ni le prêtre ni la religieuse ne sont les seuls charitables, je m’en doute bien ; mais j’ai vu que, de tous les moteurs de la charité, le plus énergique était la foi, et je le dis. Voici un homme qui sort tous les matins de chez lui ; il ne se glisse ni hors d’un couvent, ni hors d’un presbytère ; non, le concierge de son hôtel a poussé la porte à deux battans. Il est à pied, quoique les chevaux ne manquent point à ses écuries, ni les voitures à ses remises ; son paletot est de forme singulière, gonflé au-dessous des hanches et comme surchargé ; si l’on y fouillait, on y pourrait compter cinquante petits pains. L’homme marche vite, il va dans des quartiers pauvres, il gravit de nombreux étages, ouvre des mansardes et, chaque fois qu’il en descend, son vêtement est allégé. S’il apprend que, dans quelque famille dénuée, il y a un malade, il y court, il y amène le médecin et contresigne l’ordonnance ; le pharmacien sait ce que cela veut dire. Aux pauvres vieux qui toussent il donne des sucres d’orge ; aux femmes en couches il envoie des layettes ; aux enfans il ouvre l’école et s’assure, le soir, que les vagabonds et les malheureux sont bien couchés. Est-ce donc un prêtre qui se déguise, un moine qui a quitté le froc pour n’être point reconnu ? Non pas. Il ira dans la journée au cercle de l’Union, il passera sa soirée au Jockey-Club ; quand il y a des courses, il y prend intérêt, et s’il se promène dans la salle des Croisades, au château de Versailles, il y peut voir l’écusson de ses aïeux. Il a la foi, et, aux heures de la prière, son âme n’est plus ici-bas. Voilà une femme qui est encore jeune et qui est belle ; son large sein est fait pour un grand cœur, ses yeux sont pleins d’azur. Sa maternité a été déçue ; l’amour qu’elle