Je dépasse mon but. Ne pouvant analyser en détail les quatre volumes de la Véridique Histoire, je voulais me restreindre à la période qui m’a surtout séduit, le moment du contact entre les deux races, de la rencontre des deux âmes. Ceux qui liront jusqu’au bout le livre de Bernal Diaz verront se dérouler en traits nouveaux l’histoire connue : l’arrivée de la flotte et de l’armée envoyées par le gouverneur de Cuba pour supplanter Cortez, la résolution du hardi capitaine, laissant l’empire conquis et l’empereur prisonnier à la garde d’une centaine de soldats, courant avec le reste à la côte, battant son rival et lui prenant l’armée de menace, qui devient une armée de secours ; le retour à Mexico, le soulèvement des Aztèques, la « Nuit triste, » et le massacre des conquérans. L’écrivain, qui en réchappa, trouve des couleurs effrayantes pour peindre l’horreur de cette nuit, l’escalade furieuse du temple, les combats désespérés sur la chaussée, l’agonie, les supplices et les sacrifices de ses compagnons. Enfin il nous conte le siège, la prise et la destruction de la capitale, l’établissement définitif des Espagnols, leur rayonnement dans les provinces ; il nous dit leurs querelles intestines, monotone commentaire de l’axiome énoncé par lui quelque part : « L’or, on le sait, est communément désiré par tous les hommes, et qui plus en a, plus en veut avoir. »
Le lecteur se lasserait si je le menais à travers les cent dix-neuf batailles qu’énumère complaisamment le seul témoin ayant survécu. Laissons batailler le bon soldat ; mais, avant de l’oublier, empruntons-lui encore une page où toute son époque revit, comme en un vieux tableau flamand. Il s’agit des réjouissances qui suivirent la prise de Mexico. « Cette grande et populeuse cité, si renommée dans l’univers, ayant été gagnée, après avoir rendu à Notre-Seigneur et à sa mère bénie force grâces, avec certains vœux et promesses à Dieu Notre-Seigneur, Cortez commanda de faire un banquet dans Cuyoacan, en signe de liesse de cette prise. Il avait à cet effet, en quantité, du vin d’un navire arrivé au havre de la Villa-Rica et des porcs qu’on lui avait amenés de Cuba. Pour faire la fête, il fit convier, dans les trois camps, tous les capitaines et soldats dont il lui sembla devoir tenir compte. Quand nous parûmes au banquet, il n’y avait pas de tables dressées, ni même de sièges pour le tiers des capitaines et soldats présens. Le désarroi fut grand, et certes il eût mieux valu que ce banquet ne se fît point, pour maintes fâcheuses choses qui y advinrent, et aussi parce que la plante de Noé en fit