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extravaguer quelques-uns. Hommes il y eut qui… » (Suit un détail que Rabelais seul se chargerait de raconter.) « D’autres disaient qu’ils achèteraient des chevaux avec des selles d’or ; des arbalétriers soutenaient qu’avec les parts qu’on leur allait bailler ils n’auraient plus dans leur trousse que des carreaux d’or ; d’autres s’en allaient roulant par les degrés. Les tables levées, les dames entrèrent en danse avec les galans chargés de leurs armes. Il y avait de quoi rire. Les dames étaient peu nombreuses et il n’y en avait point d’autres dans tout le camp, ni dans la Nouvelle-Espagne. Je laisse de les nommer par leurs noms et de rapporter la satire qu’on en fit le lendemain. Mais je veux dire que les tant malséantes choses advenues au festin et danses faisaient murmurer le bon moine fray Bartolomé de Olmedo. Il dit à Sandoval combien ce lui paraissait mal et la belle façon que nous avions de rendre grâces à Dieu et de nous recommander à sa protection. Le Sandoval, tout à la chaude, répéta à Cortez ce que grondait et grommelait fray Bartolomé, Et le Cortez, qui était discret, le fit appeler et lui dit : « Padre, je ne me pouvais refuser à divertir et réjouir les soldats avec ce que Votre Révérence a vu, mais je l’ai fait contre mon gré. A présent, c’est à Votre Révérence à ordonner une procession, dire une messe, nous prêcher et exhorter les soldats à ne point rober les filles des Indiens, ni larronner, ni armer noises, mais à agir en catholiques chrétiens afin que Dieu nous soit bienfaisant. » Fray Bartolomé, ignorant ce qu’avait dit Sandoval et croyant que la pensée venait de son ami le bon Cortez, lui en sut gré. Et le Frayle fit une procession où nous marchions, enseignes levées, avec des croix de place en place, en chantant les litanies, et que fermait une image de Notre-Dame. Le jour suivant, fray Bartolomé prêcha. A la messe, plusieurs communièrent après Cortez et Alvarado, et nous rendîmes grâce à Dieu pour la victoire. »

On rencontre, dans la Chronique du conquérant, bien des pages semblables ; elles sont l’agrément et la curiosité de ce livre. On y trouve mieux encore, la leçon morale qui fait penser après qu’on a fermé le volume. Si les livres sont de bons amis, c’est qu’ils mettent l’âme en rumeur sans la contraindre et souffrent qu’on les quitte du pas distrait d’Horace et de Montaigne ; c’est qu’ils nous ramènent, par des chemins nouveaux, à nos songeries accoutumées, à ce point du temps qui est notre siècle, à ce point de l’espace qui est notre pays. — En lisant Diaz, j’écoutais vivre à grand bruit ces hommes de la renaissance, je les voyais violenter les faits et la fortune, brasser l’impossible, marcher dans leur folie, et, ce qui est d’un fâcheux exemple, y réussir. Je revenais à nous, à notre conception du problème de la vie, si différente de la leur, à nos