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même curiosité, les mêmes appréhensions. On en parla dans tous les salons, et ceux qui ont la réputation ou la prétention de savoir les choses de la nature furent soumis à des interrogatoires qui se renouvelaient tous les soirs avec le phénomène lui-même. Ils étaient mal préparés à y répondre, car rien de pareil ne s’était vu depuis longtemps. Pour échapper à ces examens et sauver l’honneur des savans, je résolus d’insérer dans la Revue une étude sur ce sujet ; j’y ai rencontré des difficultés que je n’avais pas, tout d’abord, prévues. Comme ce fut un phénomène général, il fallait attendre que les documens envoyés de tous les points du monde pussent être recueillis et résumés. Jusqu’au dernier moment, ils affluaient dans les académies et remplissaient les comptes-rendus ; c’est à peine s’ils sont aujourd’hui complétés et si l’enquête est mûre. Nous allons essayer de la résumer et de rendre un jugement scientifique ; mais, tout d’abord, il faut le préparer en rappelant quelques données théoriques.


I.


On appelle transparentes les substances qui laissent passer, sans en rien retrancher, toute la lumière qu’elles reçoivent. Seulement il n’y en a pas qui soient absolument transparentes : ni l’eau, ni l’air, ni aucune matière connue ; toutes affaiblissent les rayons, et, quand l’épaisseur est suffisante, les éteignent. En général, elles agissent inégalement sur les couleurs du spectre, choisissant les unes pour les transmettre, les autres pour les intercepter, d’où il suit qu’elles ont une couleur.

Il est curieux de savoir quelle est la couleur des deux substances les plus répandues dans la nature, l’air et l’eau. Cette question, qui paraît si simple, est très complexe, et, suivant le cas, les réponses étonnent par leur diversité. Dans une carafe, l’eau paraît incolore et diaphane ; l’océan et le lac de Lucerne sont verts ; la Méditerranée est bleue, ainsi que le lac de Genève. Hassenfratz a soutenu que l’eau est rouge. Hassenfratz, qui avait été charpentier, puis conventionnel ardent, ami de Danton et de Robespierre, finissait sa carrière dans les tranquilles honneurs du professorat. Ce n’était ni un savant illustre ni un professeur célèbre ; d’ailleurs il était bègue, ce qui prêtait à rire. On lui doit pourtant une bonne expérience. Ayant rempli d’eau ordinaire un long tube fermé par des glaces à ses deux bouts, il y fit passer un faisceau de lumière solaire. Elle y entrait blanche, elle en sortait avec une teinte orangée ; mais Hassenfratz employait une eau un peu trouble. L’expé-