et, sans se soucier de recueillir trop soigneusement les preuves de la trahison prétendue, elle en demanda justice avec hauteur à la cour de Vienne. Marie-Thérèse, comme tous les souverains qui ont l’instinct de l’autorité et en connaissent les conditions, n’aimait pas à abandonner ses serviteurs : elle défendit énergiquement son représentant, et la querelle devint très vive entre les deux souveraines.
Frédéric, attentif à tout, saisit le joint et intervint à temps pour envenimer le débat. « Il faut prendre la balle au bond, écrivait-il sur-le-champ à Podewils et à Mardefeld, son ministre à Saint-Pétersbourg… C’est l’heure du berger ; .. il faut que j’aie la Russie cette fois, ou je ne l’aurai jamais. » Sans se mettre en peine de s’enquérir si Botta était accusé justement ou à tort, il déclara qu’il ne pouvait garder à sa cour, accrédité auprès de sa personne, un homme dont une souveraine, sa sœur et son amie, avait à se plaindre, et engagea poliment l’ambassadeur à demander ses passeports. Il poussa même l’empressement jusqu’à faire à la tzarine des remontrances amicales sur l’excès et les dangers de sa clémence. Jamais elle ne serait en sûreté, lui fit-il dire, tant qu’elle laisserait la famille détrônée vivre paisiblement dans ses états. Il fallait au plus tôt expédier le père en Allemagne, enfermer la mère dans un couvent et confier l’enfant à une famille obscure dans un pays où son origine serait inconnue. Sans cela, elle ne cesserait d’avoir à trembler pour ses jours et verrait toujours des canons pointés contre elle[1].
Elisabeth fut touchée jusqu’aux larmes de ces soins fraternels. « Croirait-on, écrivait-elle, qu’il y a des langues de vipère qui prétendent que je dois me défier du roi de Prusse et de sa fourberie ? Je vois bien que ce sont ceux-là qui me trompent. » Dans l’effusion de sa reconnaissance, elle accorda sans hésiter son accession et sa garantie au traité de Breslau, faveur qu’elle avait toujours promise, mais jusque-là tardé à réaliser. Ce ne fut pas tout : un nouveau mariage dut sceller d’une façon définitive l’union des deux couronnes. Ce fut cette fois le propre neveu de l’impératrice, Pierre de Holstein-Gottorp, fait par elle grand-duc de Russie et appelé à sa succession, qui fut fiancé à une proche parente de Frédéric, la fille de la duchesse d’Anhalt-Zerbst, sœur elle-même du nouveau prince royal de Suède. La future dut se rendre sur-le-champ à Saint-Pétersbourg pour que la cérémonie se fît sans délai. Sophie-Auguste d’Anhalt n’avait pas encore achevé sa quinzième année, et bien que, dans cet âge encore tendre, elle subît entièrement la domination d’une mère intrigante et spirituelle, au moment
- ↑ Pol. Corr., t. II, p. 406-408. — Droysen, t. II, p. 145-153.