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qu’on a éliminés de la fête de Cahors, ils n’étaient pas, que nous sachions, de vieille souche aristocratique. Ils sortaient des conditions les plus humbles, ils étaient fils du peuple, et s’ils ont été des maréchaux, ils avaient été des soldats ; s’ils ont eu, l’un une couronne de roi, l’autre une couronne de duc, ils ne les avaient pas trouvées dans leur berceau, ils les avaient conquises par leur héroïsme. Ils représentaient la démocratie victorieuse et illustrée. D’un autre côté, on parle sans cesse de régénérer l’armée, ce qui veut dire sans doute, si les mots ont un sens, qu’on veut lui rendre la sève militaire. Croit-on relever l’armée nouvelle en lui enseignant le mépris ou l’oubli de la vieille armée, en voilant devant ses yeux l’image de Bessières mort à l’ennemi ? M. le ministre de la guerre, qui était, comme les autres ministres, des fêtes de Cahors et qui, lui aussi, a fait son discours, a eu un rôle peut-être assez singulier dans la cérémonie. Il a dû dans le fond se sentir un peu embarrassé de l’exclusion infligée à ses glorieux aînés de la famille militaire. S’il est homme d’esprit, comme nous n’en doutons pas, il n’a dû se consoler qu’en se disant qu’il eût été, en effet, par trop ridicule de laisser toutes ces statues réunies, de mettre M. Gambetta coulé en bronze, la main sur un canon, à côté de Murat et de Bessières. Que les deux héroïques soldats rentrent donc au magasin et que M. Gambetta reste tant qu’il pourra sur son piédestal ! Ceux qui l’y ont mis ne s’aperçoivent pas que, sous prétexte d’honorer un homme, ils se donnent tout simplement à eux-mêmes une fête de parti.

Eh bien ! s’il faut tout dire, le succès de la fête n’a peut-être pas été aussi grand qu’on le croirait. Les « sommités de la politique et de l’administration » ont eu beau se rendre à Cahors ; on a eu beau déployer l’appareil des cérémonies officielles et faire sonner ce le clairon des batailles » au pied de la statue : le spectacle a été assez froid, il y a eu plus de curiosité que d’enthousiasme dans la population. C’est qu’en définitive il y a un sentiment public qu’on ne trompe pas avec ces glorifications théâtrales d’un homme de talent et de cordialité qu’on veut absolument transformer en « grand homme. » Tout cela semble assez vain, assez artificiel et ne répond que médiocrement à l’instinct profond du pays. M. le président du conseil lui-même a eu tout l’air de s’en douter. On dirait qu’il n’est allé à Cahors que par une sorte d’obligation, pour ne pas laisser à d’autres le soin de faire le discours de cérémonie, pour jeter de l’eau bénite sur le monument : puis il est parti aussitôt pour Périgueux, où il s’est trouvé plus à l’aise pour parler des affaires du jour. Le fait est que le discours de Périgueux a un tout autre intérêt que celui de Cahors. Si le chef du cabinet s’est défendu pour la forme de tracer un programme, il a du moins ! amplement exposé sa politique, toute sa politique intérieure et extérieure, et ce n’est jamais l’assurance qui manque à M. Jules Ferry.