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Pour être chinoises, ces dispositions de nos législateurs au sujet de l’influence de la femme n’en sont pas moins habiles. Il est presque impossible chez nous qu’on puisse dire : Cherchez la femme ! C’est un principe d’Occident. Comme je l’établirai dans un autre chapitre, la femme est tout aussi heureuse en Chine qu’en Europe ; mais, n’ayant pas l’esprit de personnalité trop développé, elle ne songe ni aux scandales ni aux intrigues.

Dans les familles aristocratiques, on est surtout aristocrate ; on a la fierté du rang qui maintient l’esprit de conduite, et l’on chercherait en vain des occasions de plaisanter aux dépens des nobles. En Occident, on a écrit cette phrase : « Je ne connais aucun endroit où il se passe plus de choses que dans le monde. » Cela est vrai ; tout s’y passe. Ce monde-là se retrouve partout ; mais je constate qu’on le plaisante, ce qui ne se voit pas en Chine.

Dans les classes ouvrières, le divorce ne se produit que très rarement. Là, tous les membres de la famille travaillent pour assurer le pain quotidien ; les discussions sont une perte de temps. Le père, la mère, les enfans s’en vont ensemble aux champs, comme dans la vie antique. S’ils se querellent, ce qui leur arrive bien quelquefois, ils en sont quittes pour se réconcilier : après la pluie, le beau temps. Quand, par hasard, les motifs de la brouille deviennent graves, lorsque le mari dissipe le bien de la communauté et que la femme s’adresse au magistrat pour obtenir le divorce, le plus souvent le magistrat s’abstient de prononcer la séparation définitive. Il est le juge, et, à ce titre, il attend que les bons conseils opèrent un changement dans le cœur du coupable. Sa prudence est presque toujours clairvoyante.

Enfin il est encore une autre considération qui peut arrêter à temps la femme résolue à demander le divorce : ce sont ses enfans et l’espoir qu’elle fonde dans leur avenir. En Chine, c’est la mère qui élève ses enfans, et nous ne serons jamais assez civilisés pour comprendre une éducation plus parfaite. La mère fait passer son ambition dans le cœur de ses enfans : par eux, elle peut devenir noble, honorée, et quand un sentiment pareil réside dans le cœur de la femme, il est une force. Nous avons fait de la femme un être espérant toujours. C’est cet espoir qu’elle oppose sans cesse aux douleurs qui l’assiègent lorsque son mari la rend trop malheureuse. Elle patiente pour que ses enfans la récompensent un jour et la vengent des mépris du mari.

Il me serait impossible de terminer ce sujet sans dire quelques mots de l’adultère, que les lois, en Europe, ne punissent pas comme un crime. Chez nous, il est admis que le mari seul a le droit de tuer sa femme lorsqu’il la surprend en flagrant délit. Voilà qui résout la question du divorce.