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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/324

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italienne, se révèle la sagesse politique, qui, continuée jusque sous les premiers empereurs, tint mille peuples réunis sans regrets sous la tutelle d’une seule ville.

C’est que cette ville avait eu la plus difficile des vertus : la modération dans la victoire. Sparte, Athènes, Carthage, qui ne renoncèrent jamais à leur orgueil municipal, ne furent jamais aussi que des cités ; Rome, qui l’oublia souvent, devint un empire. Avec la même prudence qui avait fait ouvrir la citadelle patricienne aux plébéiens, elle ouvrit ses portes aux vaincus en conférant à une partie d’entre eux le droit de bourgeoisie, de sorte que la défaite les égalait aux vainqueurs : exemple nouveau dans ce monde si dur de l’antiquité. Mais aussi elle eut alors trente-cinq tribus s’étendant de la forêt Ciminienne au milieu de la Campanie, et, sur ce vaste territoire, les censeurs comptèrent près de 300,000 citoyens en état de combattre. Elle était déjà la plus grande puissance de l’Occident, et cet empire tenait debout tout seul, sans administration vexatoire ni impôts onéreux.

C’est qu’aux Italiens restés en dehors des tribus elle avait fait, par des faveurs ou des sévérités, des conditions inégales qui les empêchaient de s’entendre pour une action commune. Afin d’avoir autour d’elle des sentinelles vigilantes et des remparts qu’il faudrait abattre avant de l’atteindre, elle avait placé, au milieu de ses alliés ou sujets, soixante-dix colonies qui les surveillaient et les contenaient, specula et propugnaculum ; et elle avait relié ces forteresses par des voies militaires que ses soldats, marcheurs infatigables, parcouraient rapidement. Enfin, comme elle avait, presque toujours, respecté leurs dieux, leurs lois, leur autonomie municipale, elle avait pu, sans les blesser, leur imposer son alliance, et, en cas de danger national, le service militaire à côté de ses légions. Lorsqu’en 225 une formidable invasion gauloise menaça l’Italie, 770,000 hommes s’armèrent pour l’arrêter. Aucune puissance au monde n’avait alors une telle force militaire.

Bossuet, qui croit si peu à la sagesse humaine, émerveillé cependant de ces résultats de la prudence politique, écrit : « De tous les peuples du monde, le plus fier et le plus hardi, mais tout ensemble le plus réglé dans ses conseils, le plus constant dans ses maximes, le plus avisé, le plus laborieux et enfin le plus patient a été le peuple romain. De tout cela s’est formée la meilleure milice et la politique la plus prévoyante, la plus ferme et la plus suivie qui fut jamais. »

Pyrrhus étonna les Romains ; mais il n’était qu’un aventurier, et les Romains étaient un peuple ; il courait incessamment d’une entreprise à une autre, et le sénat n’en poursuivait qu’une seule : entre eux la partie n’était pas égale.