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et en Grèce, c’est qu’ils expiaient alors dans la guerre civile leur trop brillante fortune et les scandaleux excès de leurs proconsuls.


IV.


Après la chute de Carthage et de la Macédoine, les Romains eurent un empire ; ils n’eurent plus les mœurs, les dieux et les institutions qui l’avaient fondé. Ils s’étaient épris des arts, des lettres, de la philosophie de la Grèce ; et la Grèce, mourante, s’était vengée de sa défaite en leur donnant la corruption qui avait déshonoré sa vieillesse.

Dans l’Orient, où, depuis des siècles, le commerce et l’industrie avaient accumulé d’immenses richesses que la victoire livra aux conquérans, les proconsuls perdirent la modération de leurs pères. Rentrés dans Rome avec les dépouilles des provinces, ils y étalaient un faste royal, des vices qu’on n’y avait jamais connus, et le mépris pour tout ce qui était au-dessous d’eux. Ces rudes esprits qui avaient vécu si longtemps sans agiter un seul des grands problèmes, éblouis par l’éclat de la civilisation grecque, s’étaient mis à l’école de cette philosophie qui accomplissait alors, contre les religions nationales, une œuvre de destruction. Il était à présent de bon ton parmi la noblesse de lire Ennius, le traducteur d’Évhémère, d’applaudir Pacuvius ou le riche Lucilius se moquant des aruspices et des douze grands dieux. Le peuple n’allait pas aussi loin, mais il allait ailleurs, aux dieux de l’Orient, qui, l’un après l’autre, se glissaient dans Rome et y gagnaient une popularité fatale aux vieilles déités de la république.

C’était une des bases de la société romaine qui s’écroulait.

Une autre, en même temps, va lui manquer.

La classe moyenne des petits propriétaires, celle qui avait fait la force de Rome et la liberté, usée par tant de guerres, disparaissait. Un vide funeste s’était donc produit dans la cité, entre les grands à qui le pillage du monde donnait des richesses royales et les pauvres qui, recrutés de captifs affranchis, n’avaient plus rien du Romain des anciens jours, ni les sentimens, ni les souvenirs, ni la vie laborieuse et le respect de la loi. Comme, après les longues guerres de Charlemagne, on ne trouvera plus d’hommes libres dans l’empire des Francs, mais seulement des seigneurs, des vassaux et des serfs, à Rome, après la conquête de l’Afrique, de la Grèce et de l’Asie, il n’y eut que des nobles, des cliens et des prolétaires, avec une multitude infinie d’esclaves : un seul citoyen en possédera vingt mille. Or c’est une loi de l’histoire qu’il ne peut exister de classe moyenne dans les états où l’esclavage a pris un grand déve-