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des convulsionnaires, agitent des projets de répression lorsque l’empire a signé sa déchéance en signant la capitulation. Le corps législatif délibère sur la proposition de M. Thiers et les moyens de pourvoir légalement à la vacance du pouvoir. Trop tard ! Les assemblées ne survivent pas au pouvoir qui les a vues naître. L’irrésistible entraînement des choses emporte à son tour la représentation nationale. M. Gambetta n’a pas su, n’a pas voulu, ou n’a pas osé se mettre, le 9 août, à la tête de la révolution pour la maîtriser : il va la subir. Il est poussé vers l’Hôtel de Ville, où les exaltés, en l’investissant d’une fragile royauté, lui imposent leurs conditions et le font prisonnier en même temps que roi.

Pourquoi le faible gouvernement dont il est membre ne s’est-il pas hâté de convoquer la France ? Pourquoi s’est-il enfermé dans Paris ? Pourquoi, constamment assiégé par l’émeute dans une ville assiégée par l’ennemi, n’a-t-il pas dirigé contre l’invasion étrangère toutes ces passions, toutes ces colères, toutes ces exaltations qui devaient se retourner contre la patrie ? Que serait-il advenu de M. Gambetta, s’il était resté dans la capitale ? Se serait-il rapproché des démagogues pour finir son existence dans les discordes civiles ? Se serait-il rallié à la majorité du gouvernement pour en partager les fautes, les malheurs, l’humiliation ? Il comprit promptement que la province offrait un champ plus vaste à l’ambition.

Il arrive à Tours, s’empare fortement du pouvoir, centralise tous les services importans, parle, agit et commande en maître, donnant quelque temps au pays tout entier, par les accens chaleureux de ses proclamations, l’impulsion que nous avions si longtemps attendue ; puis, irritant tout le monde avec ses déclamations sans fin, son optimisme irréfléchi, ses hésitations perpétuelles, bientôt visibles sous l’apparence d’un langage résolu. Au premier examen, il semble défier toute critique. Qui osera dire du mal de celui qui a jeté sur le chemin de l’invasion six cent mille hommes pourvus d’une artillerie de quatorze cents canons ? Nous dirons la part qui lui revient dans ce patriotique effort. Quand on étudie les événemens avec réflexion, il est impossible de l’absoudre. Comment dire du bien de celui qui a condamné à la stérilité les immenses ressources de défense que possédait notre pays ?

Il est nécessaire de faire justice, en passant, de deux affirmations que les partis ont essayé d’accréditer depuis 1871. Les uns ont dit qu’après Sedan la France ne pouvait plus résister à l’invasion, et qu’elle ne le voulait pas : ceux-là ont calomnié leur pays. Les autres, opportunistes plus soucieux de la gloire de leur chef que du bon renom de leur patrie, ont prétendu que la France était abattue dans son courage et que M. Gambetta l’avait relevée en lui communiquant l’ardeur