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de son patriotisme : ces derniers, pour exalter un homme, n’ont pas craint d’amoindrir leur pays. Oui, il y a eu des défaillances et il n’y en a eu que trop ; mais l’impuissant dictateur ne les a pas ranimées. La France, prise dans son ensemble, si elle fut ébranlée par la catastrophe du 1er septembre, n’en fut pas désespérée. Elle voulait la résistance ; elle n’entendait pas livrer son sol à l’étranger ; elle l’aurait prouvé par des élections générales comme elle le prouva par son empressement à concourir à la défense, par sa docilité à obéir à l’étrange délégation que lui expédiaient les prisonniers de l’Hôtel de Ville, par sa résignation patriotique à se courber sous la capricieuse volonté du dictateur qui, seul, osait s’imposer au pays, en lui promettant le salut, et qui allait consommer notre ruine, d’est un malheur irréparable que le pays n’ait pas été consulté. Le gouvernement aurait tiré de l’assemblée l’autorité nécessaire pour diriger toutes les pensées et toutes les énergies vers la résistance, pour inspirer confiance à la nation et à l’armée, pour dicter aux généraux les résolutions suprêmes et en imposer à l’ennemi. Mais laissons les plaintes inutiles. Nous n’écrivons pas l’histoire du gouvernement de la défense ; nous cherchons dans ces douloureux événemens de 1870 ce qui peut nous éclairer sur l’esprit et le caractère de M. Gambetta.

Trois fois, comme ministre de la guerre, chef souverain des armées, dictateur civil et militaire, il s’est trouvé dans la nécessité de prendre des résolutions décisives : le 10 novembre, au lendemain de Coulmiers ; à la fin de novembre, en avant d’Orléans ; lors de la formation de l’armée de l’Est. Examinons aux prises avec les difficultés son esprit, son cœur, son caractère ; c’est le seul moyen d’en juger la vigueur.

M. Gambette semble n’avoir eu qu’une pensée durant ses trois mois de pouvoir : débloquer Paris. Après Coulmiers, il a dans la main les troupes du 15e et du 16e corps. Elles viennent de combattre et de vaincre. Elles forment un effectif de soixante-dix mille combattans. Le général d’Aurelles est d’accord sur ce chiffre avec M. de Freycinet. Ajoutez-y les troupes de Martin des Pallières, qui viennent d’arriver à Orléans ; elles comptent trente mille hommes en bon état. L’armée est admirable de bonne volonté[1]. C’est avec

  1. « Nos troupes, admirables d’élan et de sang-froid, n’avaient pas eu un moment d’hésitation dans cette première rencontre (La Vallière, veille de Coulmiers). L’aspect de cette grande ligne de bataille (le jour de Coulmiers), traversant la plaine nue et à peine accidentée qui la séparait de l’ennemi, était des plus imposans. » (Chanzy, la Deuxième Armée de la Loire, p. 26.) « En passant en voiture, car je ne pouvais encore monter à cheval, sur le flanc de cette longue colonne qui marchait en ordre et en silence sur quatre rangs, les officiers et sous-officiers à leur place, laissant à peine derrière elle quelques fiévreux du 38e, qui revenait d’Afrique, et dont les forces trahissaient la bonne volonté, je me demandais si c’étaient bien là les mêmes hommes qui, un mois auparavant, criaient, se révoltaient et ne connaissaient aucun frein, » (Martin des Pallières, Orléans, p. 66.) « L’armée solide, disciplinée, avait confiance en elle et en ses chefs. » (D’Aurelles, la Première Armée de la Loire, p. 112.)