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du délégué au ministère de la guerre[1]. Ainsi fut abandonné, le lendemain de Coulmiers, le projet de marcher sur Paris. Malheur aux nations dont les chefs ne savent penser que par les autres !

M. Gambetta s’est décidé à attendre l’ennemi à Orléans. Le général en chef a sous la main les troupes éprouvées du 15e et du 16e corps, les soldats déjà solides de Martin des Pallières. Cette première armée de cent mille hommes va se renforcer sur sa droite du 18e et du 20e corps, sur sa gauche du 17e et bientôt du 21e. L’armée, protégée, au nord-est, par la forêt d’Orléans, dont tous les défilés seront occupés par des corps francs, à l’ouest, par les bois de Montpipeau, couverte par de puissantes batteries de marine et par des travaux de retranchemens qu’on aura tout le temps d’exécuter, atteindra, vers les premiers jours de décembre, au chiffre de deux cent dix mille combattans effectifs. Frédéric-Charles peut venir maintenant, après avoir rallié sur son chemin les troupes de von der Thann et du grand-duc de Mecklembourg. Quelque vigueur qu’il y déploie, il échouera contre Orléans. Mais il faut que nous comptions avec la mobilité du ministre de la guerre.

La défensive a été arrêtée et les travaux marchent rapidement. Le caprice a tourné. Il faut reprendre l’offensive, et dans quelles conditions ! Certes l’offensive était possible à la fin de novembre. L’armée la désirait. Les Prussiens, qui s’y attendaient, étaient fort circonspects à Pithiviers[2]. Mais, c’est surtout à la guerre qu’il faut de la décision. Jamais armée ne fut victime d’une plus coupable incohérence d’idées. Observez M. Gambetta. Il prend la direction du 18e et du 20e corps et, sans rien connaître de la situation de l’ennemi, leur donne pour objectif indéterminé Baune-la-Rollande, Pithiviers. Le général d’Aurelles est commandant en chef de l’armée. Les 18e et 20e corps forment sa droite. Il n’a aucune action sur elle. Il ne pourra pas l’appeler à lui en cas de besoin. Elle opère du reste à 50 kilomètres de son centre. Ce n’est pas tout. Martin des Pallières est sous les ordres directs de d’Aurelles depuis le lendemain de Coulmiers. Sans tenir compte de la susceptibilité légitime du général en chef et des nécessités du commandement, le ministre de la guerre détache Martin des Pallières avec l’ordre vague de se diriger sur Pithiviers. Ce dernier, ne sachant que faire ni à qui obéir, ne se relie ni au 15e corps, resté sous la direction de d’Aurelles, ni aux 18e et 20e, abandonnés à leur isolement, et il

  1. M. de Freycinet (la Guerre en province) et le général d’Aurelles (la Première Armée de la Loire) sont d’accord sur le revirement de M. Gambetta.
  2. Voyez à ce sujet l’ouvrage de l’état-major prussien et le livre du major von der Goltz, les Armées de Gambetta.