Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pression révolutionnaire. Le groupe qui les promettait à la France, ou qui l’en menaçait, s’appelait radical[1]. Au moment où nous nous sommes reporté pour tracer ce tableau rapide de l’assemblée[2]. M. Gambetta était, aux yeux du grand public, le chef de ce parti révolutionnaire et radical. Nous allons démontrer qu’à ce moment-là même, il se préparait, sous le nom d’opportuniste, à embrasser un bien plus grand rôle. M. Thiers devait le favoriser à son insu.


VI

En quittant la présidence de la république, le 24 mai 1873, M. Thiers, avec sa justesse de coup d’œil, avait compris la situation politique. M. le duc de Broglie devait tomber sous la coalition de l’extrême droite et des bonapartistes dès qu’il tenterait de sortir du provisoire. Le plan de M. Thiers était arrêté aussitôt. Il maintiendrait en un faisceau compact toutes les forces de gauche, depuis M. Casimir Perier jusqu’à Louis Blanc. Les groupes de gauche une fois liés, l’appoint des voix bonapartistes ou de l’extrême droite lui donnerait aisément la victoire chaque fois que le duc de Broglie essaierait une combinaison de nature à contrarier les projets des impérialistes ou les sentimens des légitimistes ultra. L’union du centre gauche et de la gauche modérée était facile. Le centre gauche était désormais attaché à la fortune de M. Thiers. La gauche modérée, sous l’influence de MM. Jules Simon, Jules Favre et Jules Grévy, sans se confondre avec le groupe précédent, avait autant de sagesse que lui et, s’il se peut, encore plus de patience. Mais comment amener les radicaux de l’Union républicaine et M. Gambetta à se ranger silencieusement et à marquer le pas derrière la

  1. Ce groupe de l’Union républicaine était fort mélangé. Il comptait une centaine de membres. Trente-cinq ou quarante étaient en même temps inscrits à la gauche modérée et ne sauraient en rien mériter le titre de radicaux. Beaucoup s’étaient attachés pendant la guerre à la fortune de M. Gambetta et devaient le suivre dans toutes les variations de l’opportunisme. Plusieurs, comme M. Brisson, étaient des sectaires disposés à s’adoucir quand la fortune leur sourirait. Il y avait là de purs jacobins, M. Madier de Montjau, M. Marcou. Il y avait les représentans d’une autre époque, comme M. Edgar Quinet. Il y avait le chef du socialisme d’état, M. Louis Blanc.
  2. On remarquera que nous n’avons rien dit du parti bonapartiste. C’est à dessein. Il était représenté à l’assemblée par une vingtaine de membres au plus. Il ne pouvait pas jouer de rôle. Il n’arrivait que comme appoint dans les combinaisons. Mais cet appoint était toujours décisif. Ces vingt voix ont rendu le 24 mai possible. Après avoir élevé le duc de Broglie, elles l’ont bien souvent contrarié dans ses projets. L’histoire de l’année 1874 est toute pleine d’alliances et de ruptures entre les vingt voix bonapartistes et les partis de l’assemblée.