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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/451

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déclaration de guerre ? mais si ce sont les girondins, comment M. Forneron oublie-t-il que les girondins représentent justement dans l’histoire de la révolution le dernier effort de résistance des classes moyennes au progrès du dogme égalitaire ? et comment peut-il écrire : « Qu’importent les destinées de la France et de l’humanité ? » quand ce sont ces mêmes girondins qui ont donné précisément à la lutte ce caractère de propagande armée qu’elle conservera jusqu’au dernier jour ? Dire maintenant que « le monde sortit épuisé » de cette lutte, c’est à peu près dire le contraire de la vérité, puisque nous venons à peine de voir finir une ère de progrès matériels comme l’Europe n’en avait pas vu depuis environ deux cents ans alors et comme il y a lieu de croire qu’elle n’en verra pas de sitôt. Mais reprocher aux girondins de n’avoir pas « prévu » que la guerre durerait vingt-trois ans et tuerait d’abord la Pologne, qui ne sait que la Pologne était malheureusement trop capable de s’achever elle-même, comme qui ne sent qu’il n’est au pouvoir de personne de « prévoir » la durée d’une guerre ? Je ne dis rien de l’argument des « trois millions de mâles de races supérieures, » si ce n’est qu’il vaut l’argument des « millions de citoyens utiles » que coûtait à la civilisation, selon nos encyclopédistes, le célibat des moines et des religieuses. En vérité, n’est-ce pas se moquer ? Compte-t-on à ce point sur la crédulité du lecteur ? Écrit-on ainsi l’histoire ? Et là-dessus, puisqu’il paraît que cette question a décidément tant d’importance et que l’on croit avoir presque autant fait contre les girondins en les accusant d’avoir provoqué l’Autriche que si l’on avait prouvé leur tacite complicité dans les massacres de septembre, que ne nous parle-t-on aussi des rassemble mens d’émigrés, et de la déclaration de Pilnitz ? Car quel peuple, en aucun temps, a jamais souffert que ses nationaux s’assemblassent en armes à sa propre frontière pour venir le remettre sous un joug qu’il avait secoué ? Quel gouvernement d’une grande nation a jamais supporté que l’étranger se vînt interposer dans ses affaires ? Voilà les causes prochaines de la guerre ; il n’y en a pas d’autres (à moins que ce ne soit aussi la cupidité des puissances) ; et quant aux causes profondes, j’ajouterai qu’il n’était pas plus au pouvoir des puissances que de la révolution d’en éviter les effets. C’est ce qui rend de pareilles discussions bien vaines, et presque puériles. Si la révolution n’avait pas attaqué l’Europe, c’est l’Europe, qui, tôt ou tard, eût attaqué la révolution, parce que si la guerre de la révolution contre l’Europe était contenue dans les origines mêmes de la révolution, la guerre de l’Europe contre la révolution n’était pas moins évidemment contenue dans le passé de l’Europe. Il est dans le caractère de ces grands événemens, qui, comme la réforme ou la révolution, se développent à la façon des forces de la nature, d’être plus puissantes que les volontés des hommes et de ne pouvoir pas être détournées de leur cours avant de l’avoir accompli. Satanique ou providentielle : M.