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des conditions qui la blessaient. Quand elle apprit d’abord la déclaration de guerre envoyée par le cabinet français au cabinet britannique, puis l’évasion du prétendant et les projets d’expédition maritime dans la Manche, ce fut pour elle une sorte de triomphe dont elle ne ménagea pas l’expression ironique à son fidèle serviteur Robinson : « Voilà bien, s’écria-t-elle, la suite de ces conseils timides auxquels le roi George n’avait que trop prêté l’oreille, de ces hésitations et de ces lenteurs qui ont laissé évanouir entre ses mains tous les fruits de la victoire de Dettingue! Le voilà bien payé de tous les égards qu’il a eus pour son empereur, qui, en récompense du prix qu’il a mis à lui garder sa couronne, ne songe qu’à détrôner la maison de Hanovre! Va-t-on enfin ouvrir les yeux et se mettre à l’œuvre? C’est Dieu, ajoutait-elle, qui a fait un miracle en permettant que les Français, dans leur présomption et leur aveuglement, aient lancé cette déclaration, qui va, j’espère, vous tirer de votre sommeil. Enfin je ne suis donc plus la partie principale! Et que diriez-vous, grand Dieu! si j’allais me conduire comme ont fait jusqu’ici mes alliés! » Robinson, tout étourdi, ne trouva rien de mieux à faire que d’abonder dans le même sens et d’assurer que, lui aussi, se réjouissait d’une démarche qui, en mettant son maître en état de légitime défense, lui permettait d’invoquer le secours de tous ceux qui, par des traités, s’étaient obligés à lui venir en aide. S’il entendait par là Frédéric, la reine dut être médiocrement contente de sa réponse. « Je n’en ai pourtant pas trouvé de meilleure, écrivait-il à son ministre, dans l’état d’obscurité où je suis, comme Votre Seigneurie le sait, sur ce qui sortira des prochaines conférences entre les militaires[1]. »

La déclaration de guerre faite à l’adresse propre de l’Autriche, qui suivit de si près celle qu’avait reçue le cabinet de Londres, n’était pas de nature à causer à Marie-Thérèse plus d’émotion. « Admis hier auprès de Sa Majesté, écrivait l’ambassadeur de Venise, Contarini, elle m’a parlé de toutes choses, et en particulier de la croyance où elle était d’avoir, dans le roi de France un nouvel ennemi qui allait lui déclarer ouvertement la guerre. D’un air sérieux, mais ferme, elle m’a dit qu’elle ne pouvait craindre de plus mauvais jours que ceux qu’elle avait déjà traversés et que Dieu, qui l’avait protégée dans les plus grands périls, ne l’abandonnerait pas dans l’avenir... J’ai admiré la constance imperturbable et presque l’indifférence avec laquelle elle paraît considérer cet événement. » Elle n’y voyait effectivement que l’occasion de renouveler, dans un manifeste éloquent, l’énumération tant de fois

  1. D’Arneth, t. II, p. 343. — Robinson à Carteret, 27 avril 1744. (Correspondance de Vienne. — Record Office.)