Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant notre départ, qu’il fallait que je fus (sic) reçue avec distinction ou n’y point aller, et je le pense... Dites-moi ce que vous en pensez et au plus vite[1]. »

C’était chanter trop tôt victoire ; avant que cette lettre eût reçu de réponse et pendant que la duchesse n’attendait qu’un signal pour aller partager les triomphes de son amant, un événement inattendu venait jeter le trouble et la confusion dans cette campagne, jusque-là si heureusement et si méthodiquement poursuivie qu’on l’aurait prise pour une parade bien exécutée. Tandis qu’on ne pensait qu’à la soumission de la Flandre, au désappointement de l’Angleterre, aux ridicules terreurs de la Hollande, le prince Charles de Lorraine, à la tête de quatre-vingt mille Autrichiens, trompant la vigilance de ce vieux Coigny dont Frédéric se méfiait à si juste titre, passait le Rhin entre Mayence et Philippsbourg et s’avançait à grandes marches vers l’Alsace. Ce coup de théâtre changeait tout. Il ne s’agit plus pour le roi de France d’aller recevoir en vainqueur les clés des cités aisément conquises : c’est l’honneur de sa couronne, c’est l’intégrité de son royaume qu’il lui faut défendre de cette main encore si peu accoutumée à tenir l’épée. On ne lui avait fait connaître de la guerre que les émotions qui donnent du prix à la victoire. Elle lui apparaît tout d’un coup sous son aspect le plus redoutable, celui de la conquête et de l’invasion.


II.

« Il faut avouer, disait Frédéric à Valori, dans un de ses derniers entretiens, en lui parlant des princes ecclésiastiques d’Allemagne, que vos prêtres sont d’étranges gens... Mais, si vous voulez que je vous parle à cœur ouvert, il faudrait entrer chez eux d’un autre ton que vous ne faites et vous montrer irrité de leurs mauvais procédés; car je vous avertis qu’ils ne font que sonner le tocsin contre vous et l’empereur dans toute l’Allemagne. »

Frédéric avait raison de donner aux agens français l’éveil sur les desseins de ces prélats couronnés, dont il avait lui-même plus d’un motif personnel de se méfier. En effet, tandis qu’à Francfort on s’occupait de former une coalition militaire dont la France était l’âme et dont le roi de Prusse devait être le commandant, un travail contraire était poursuivi par l’Autriche avec le même succès, au nom de la foi menacée, auprès des princes ecclésiastiques, et, comme les plus considérables de ces souverains mitres tenaient

  1. Apostille du roi à une lettre du maréchal de Noailles du 11 juin 1744. Rousset, I. II, p. 149. — Lettre autographe de Mme de Châteauroux à Richelieu, 27 juin 1744. (Bibliothèque de Rouen.)