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voit avec étonnement, et une partie avec beaucoup d’envie, que la nation française est ce que son roi veut qu’elle soit... Qu’il est beau de voir l’empressement avec lequel Votre Majesté vole au secours de ses peuples, après avoir montré d’un autre côté combien il est dangereux de l’avoir offensée ! La promptitude de ses mouvemens est admirable : elle ordonne, et une armée disparaît de Flandre pour tomber tout d’un coup sur le prince Charles. Je n’oserais dire à Votre Majesté que ses coups d’essai sont des coups de maître, mais personne ne m’empêchera de le penser ainsi. »

Puis à chaque lettre de félicitation est jointe, sous forme de note ou de commentaire explicatif, un plan de la campagne qu’il faudra adopter lorsque, les Autrichiens une fois chassés d’Alsace, il s’agira de les poursuivre en Bavière, en même temps que les Anglais en Hanovre, où ils ne sauraient manquer de se retirer aussi. C’est l’offensive, toujours l’offensive qu’il faudra prendre : la défensive a jusqu’ici tout perdu. C’est Condé, c’est Catinat, c’est Luxembourg qu’il faut imiter. L’habile homme de guerre n’oublie rien, ni le nombre d’hommes qu’il faudra employer dans chacune de ces expéditions, ni la route qu’on devra suivre — « Si, après le départ du prince Charles, vous ne faites d’abord marcher après lui un corps suffisant de vos troupes, vous ne ferez que de l’eau claire, et vous pouvez compter que, si vous n’envoyez pas vingt ou vingt-cinq mille hommes dans le pays de Hanovre, toute notre affaire est au diable. » — Vient ensuite régulièrement un post-scriptum traitant du général qu’on devra choisir, et c’est toujours Belle-Isle qui est indiqué comme celui qui, connaissant le mieux l’Allemagne, peut le plus sûrement y conduire une armée. Parfois aussi le penchant irrésistible au sarcasme et à l’ironie reprend le dessus, et l’incorrigible railleur laisse entendre que ses complimens ne seront tout à fait sincères que quand ils auront été assez mérités pour faire oublier les fautes passées : « J’attends les nouvelles (de vos progrès), écrit-il au maréchal de Noailles, avec impatience, car si l’on compte la retraite que les Français ont faite depuis deux ans de Deggendorf jusqu’aux montagnes des Vosges, elle surpasse tout ce que l’histoire nous apprend en ce genre, et si vous allez en avant de même, vous serez au mois de décembre aux portes de Belgrade. » Enfin, trouvant que l’écriture était impuissante pour communiquer l’intensité de son ardeur et la multiplicité de ses pensées, il se décida à envoyer à Metz son principal confident militaire, le maréchal de Schmettau, pour recevoir Louis XV et concerter avec Noailles et Belle-Isle l’ensemble des mesures à prendre. Le même jour, il donnait ordre à son ministre auprès de Marie-Thérèse de quitter Vienne après avoir annoncé que le danger que courait l’empereur l’obligeait,