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en qualité de membre du corps germanique, à prendre les armes pour sa défense[1].

Schmettau arriva à Metz la veille du jour où on attendait le roi, qui y fit son entrée le 4 août, au milieu des acclamations enthousiastes de la population. Sa marche, qui nous paraîtrait bien lente aujourd’hui, semblait très rapide, alors que, pour concentrer et transporter cinquante mille hommes, les moyens de célérité dont nous disposons n’existaient pas. On avait doublé la paie du soldat, qui, de grand cœur, doublait aussi sa journée de marche. On éprouvait tant de joie, après avoir si longtemps souffert d’obéir à un mineur en tutelle d’un vieux prêtre, à voir enfin à sa tête un homme et un guerrier! Le bruit de l’alliance avec le roi de Prusse s’étant répandu, le parallèle des deux souverains était dans toutes les bouches. Tous deux étaient jeunes, aimés de leur peuple et de leur armée. Tous deux marchaient à la victoire ; si Frédéric avait sur Louis quelque avance en fait d’exploits et de renommée, c’était une distance qui serait bientôt regagnée. La comparaison, pénible naguère, n’avait plus rien dont l’amour-propre national dût souffrir.

Ainsi raisonnaient les spectateurs qui voyaient passer le cortège royal dans cet appareil militaire, si propre à enflammer les imaginations populaires; mais ceux qui regardaient de plus près, dont l’œil était plus ouvert ou l’esprit plus prompt à la critique, faisaient déjà à voix basse plus d’une remarque et se racontaient à l’oreille plus d’une anecdote qui tempérait l’enthousiasme. « Les dames suivent-elles? » demandait dès le premier instant le duc de Luynes dans son Journal. Et me de Mailly, devenue dévote et presque prude, faisait plus crûment la même question : « Les vivandières en sont-elles? » disait-elle à la vieille maréchale de Noailles. Et quelques jours après, Luynes se répondant lui-même : « Les dames, dit-il, suivent le roi; elles ne marchent pas le même jour, mais elles se trouvent à toutes les stations. » effectivement, Mme de Châteauroux (on le sait déjà dans l’armée, et le peuple va l’apprendre) a voulu être aussi du voyage, et personne n’a eu le courage de l’avertir qu’elle gâtait l’effet des plus généreux conseils en s’y associant trop ouvertement. Elle et sa sœur suivent l’armée à un jour de marche et rejoignent le roi toutes les fois qu’il doit s’arrêter pour prendre quelques heures de repos. A chaque station, un rendez-vous discret est ménagé par les soins du duc de Richelieu. Mais une fois par malheur, à Laon, Louis XV a été aperçu sortant d’un de ces tête-à-tête mystérieux et des mauvais plaisans qui l’ont reconnu l’ont salué du cri de : « Vive le

  1. Pol. Corr., t. III, p. 179, 209, 220, 226, 230, 233, 215, 240.