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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/527

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pas cru devoir leur faire l’honneur de les comprendre parmi les Papiers politiques qu’ils publiaient.

J’avais affirmé de plus que MM. les éditeurs avaient fait disparaître de plusieurs lettres des paragraphes où le nom de Voltaire figurait. MM. les éditeurs affirment qu’ils n’ont fait cette suppression qu’une seule fois dans une seule lettre. J’ai donc eu tort de me servir du pluriel au lieu du singulier.

Mais voici mon excuse. La lettre en question (celle dont MM. les éditeurs ont retranché un paragraphe relatif à Voltaire) est adressée au comte de Rottenbourg, général au service de Prusse, employé par Frédéric II à diverses négociations, et ami de Voltaire.

Or, il existe dans l’édition académique des Œuvres de Frédéric (t. XXV) une collection complète des lettres de Frédéric à ce comte de Rottenbourg, et j’ai pu me convaincre que MM. les éditeurs des Papiers politiques ont extrait de ce recueil, pour les reproduire dans le leur, presque toutes les lettres échangées pendant les mois d’août et de septembre 1743, en excluant toutes celles où le nom de Voltaire était prononcé, sauf, bien entendu, celle où a été opérée la suppression dont ils conviennent.

Ce n’était donc pas la suppression d’un paragraphe dans une lettre, mais la suppression de plusieurs lettres entières que j’aurais dû signaler au public.

Quant au motif qui a dicté à MM. les éditeurs ces retranchemens, si je me suis mépris à cet égard, je suis encore plus excusable, car il était impossible de deviner celui qu’ils allèguent et encore aujourd’hui j’ai peine à en apprécier la valeur.

Le paragraphe qu’ils ont retranché, disent-ils, n’avait aucun intérêt politique.

J’admettrais volontiers cette raison si, dans le reste de leur publication, ils avaient procédé uniformément de la même manière et retranché tout ce qui ne présentait pas un caractère politique.

Mais ils sont bien loin d’avoir observé cette règle. Je trouve, par exemple, dans ce même mois de septembre 1743, une lettre adressée à ce même comte de Rottenbourg, qu’ils ont insérée tout entière, sans aucun retranchement, et qui contient cette phrase :

J’espère que nous aurons un baladin et une cabrioleuse, sans quoi notre opéra aurait l’air un peu déshabillé. (Pol. Corr., t. II, p. 414.)

Ce baladin et cette cabrioleuse présentaient-ils un intérêt politique? Et s’ils n’en présentaient pas, pourquoi avoir traité Voltaire plus rigoureusement qu’eux?

Recevez, monsieur le directeur, l’assurance de ma considération très distinguée.


DUC DE BROGLIE.