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selon les règles esthétiques, on reconnaîtra que la critique est mal fondée. Le groupe principal, placé un peu en hauteur au milieu du paysage, domine l’ensemble et attire d’abord le regard; les groupes et les figures accessoires, disposés de chaque côté, se relient bien et présentent des lignes variées tout en restant dans un principe symétrique. Tous les personnages concourent à l’action, si l’on peut appeler action ce qui est l’opposé de l’action : le repos et la méditation ; aucun ne brise par un mouvement trop vif la calme unité du tableau. Pour le prétendu vide de la composition, il ne nous frappe point. Nous voyons l’espace et non le vide. Il n’y a en aucune partie de cette grande toile ce qu’on appelle un trou, et nous pensons qu’il serait difficile d’indiquer l’endroit où manque une figure. De la composition passons au dessin. Le dessin consiste-t-il seulement dans la précision des contours extérieurs, dans le modelé suivi des infinis méplats du corps humain? La grâce noble des lignes, l’invention des belles attitudes, l’eurythmie des groupes, le jet des draperies, le style des arbres, le mouvement des montagnes sont-ils donc des qualités indifférentes au dessinateur? N’est-il point permis, dans la peinture décorative, de modeler le nu par larges plans en passant sur les détails, comme ont procédé les maîtres de la fresque? Le coloris systématique de M. Puvis de Chavannes est pareillement très défendable. Le mot couleur, qui signifie, au sens pictural, éblouissement, fraîcheur ou richesse des tons, et reproduction exacte des teintes des objets, signifie aussi harmonie, science de la perspective aérienne, connaissance des rapports et des valeurs. À ces derniers points de vue, M. Puvis de Chavannes peut prétendre au nom de coloriste. Quoi de plus harmonieux que cette douce matité de la fresque! Comme l’air s’interpose bien entre les personnages et met à leur distance juste les deux rives du lac ! Quel savoir dans l’expression des différentes valeurs des terrains et des figures, des chairs pâles et des draperies amorties! quelle délicatesse dans les accords du vert de la prairie avec les bleus violacés des montagnes! On revient sans cesse devant ce Bois sacré qui repose les yeux et emplit l’esprit d’un sentiment profond, et plus on regarde le tableau de M. Puvis de Chavannes, plus on est pénétré de sa grandeur et de sa beauté.

L’Été, de M. Raphaël Collin, est au Bois sacré, de M. Puvis de Chavannes, ce que la grâce est au grand et ce que l’élégance de la manière est à l’élévation du style. Il y a pourtant bien des analogies entre ces deux œuvres. C’est le même site : une prairie semée de fleurettes blanches, jaunes, roses, traversée par un cours d’eau et fermée par une lisière de bois. C’est à peu près le même sujet: des nymphes nues ou demi-nues se reposant après le bain. C’est aussi le même parti-pris de couleur tenue dans les tons clairs. Voici maintenant les différences.