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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/570

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de l’âne de Silène, tout est peint du même pinceau lisse et égal. Ces réserves faites, nous constatons qu’on retrouve dans l’Enfance de Bacchus les qualités habituelles à M. Bouguereau : la science du dessin, la délicatesse du modelé et la grâce des attitudes.

M. Feyen-Perrin a groupé trois nymphes au bord d’une rivière, où elles se disposent à prendre un bain matinal. Leurs corps nus, qui présentent de jolies lignes, se détachent sur un fond de feuillage d’une facture un peu molle peut-être, mais d’une harmonieuse et fraîche tonalité. Le peintre a pris à Prudhon son charmant et si dangereux éclairage. Les figures baignent presque entièrement dans la demi-teinte; seuls les contours reçoivent la lumière franche. Il faut une touche singulièrement ferme pour conserver leur aspect de densité aux corps ainsi éclairés par reflets. Dans le tympan décoratif de M. Ehrmann, la Sagesse unit les Arts à l’Industrie, les figures dont le galbe est cerné d’un trait brun se profilent sur un champ de cubes d’or imitant un revêtement de mosaïque. Le dessin a de l’ampleur et de la grâce, le coloris est clair. M. Ehrmann se place auprès de MM. Baudry et Galland pour l’entente du décor. L’Orphée de M. Bosset-Granger, qui n’est remarquable ni par le style, ni par la composition, charme par la couleur. Ce jeune peintre a sur sa palette des gris et des roses pâles d’une finesse exquise; on les appréciera mieux quelque jour employés à une œuvre plus sérieuse et plus complète. M. George Callot est lui aussi un coloriste bien personnel et bien séduisant. Quel éclat! quelle fraîcheur dans les carnations du visage et du buste de la naïade ! quelle douce harmonie dans ce vaporeux fond de paysage! Un peintre roumain, M. Mirea, nous apprend une jolie légende de son pays. Il s’agit d’un jeune berger endormi sur la cime d’une haute montagne. A son réveil, les nuées qui l’entourent prennent des formes de femmes; il voit leurs corps onduleux flotter dans l’espace ; elles lui sourient, lui tendent les bras, et murmurent toutes ensemble : « Bel enfant! sois à moi!.. sois à moi!.. C’est ici la montagne des plaisirs et des tourmens d’amour. » M. Mirea a bien exprimé la poésie de la légende. L’enfant, à demi couché, en extase, la face alanguie et les yeux noyés de volupté, les femmes qui émergent des nuées blanches et rosées comme elles, le sommet de la montagne, dont les profils se perdent dans les nuages, la coloration légère et lumineuse, tout est tenu, ainsi qu’il le fallait, entre le rêve et la réalité.

Encore ensommeillée et déjà enivrée d’air et de lumière, l’Aurore de M. Jules Lefebvre s’élève nue du milieu des eaux; un voile céruléen, fluide comme le brouillard du matin, flotte autour d’elle. La tête renversée sur le bras gauche, le sein faisant saillie, le buste cambré, la jambe droite tombante et gracieusement infléchie en arc, la jambe gauche à demi repliée, le genou en avant, cette figure