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est le tableau de M. Villectère, Agar et Ismaël, où brille un coloris très fin et très lumineux. On retrouve le même mérite, un peu atténué, dans le Premier Meurtre, de M. Loëve-Marchand. M. Comerre a pétri d’une main souple et puissante le corps de sa Madeleine, et M. Louis Roux a étendu sur son tableau de Sainte Véronique les glacis harmonieux des maîtres du XVIe siècle. Il y a dans le Martyre de saint Vincent, de M. Dawant, les indices d’un talent sérieux et pittoresque. Le Mardochée de M. Leroy est une grande toile que recommandent certaines qualités de faire, mais qui pèche par la bizarrerie de la composition. Les Lilia, de M. Maurice Montégut, deux profils byzantins se détachant sur un fond d’or, ne manqueraient pas leur effet dans la pénombre de quelque chapelle consacrée à la Vierge. Au contraire, l’Apothéose de Marie-Madeleine, peinte par M. E. de Liphart, est d’un caractère bien profane pour avoir sa place dans une église ; ces réserves faites, on peut louer le mouvement et l’élégance des lignes de toute la figure et le moelleux modelé du torse nu. Si l’on trouve plus de simplicité et un sentiment religieux plus marqué dans le Martyre de sainte Julie, de M. Ravaut, l’exécution y est un peu dure et la couleur sans éclat et sans harmonie. L’Irène et Sébastien, de M. Zacharie, est moins qu’une ébauche; ce n’est qu’une pochade qui attire et retient cependant les regards par la fraîcheur extraordinaire, la virginité du coloris.

Le cycle héroïque de l’histoire de l’église se ferme avec cette sainte Julie et ce saint Sébastien. Après les martyrs, voici les ascètes. La Vision de saint François d’Assise, de M. Wagrez, n’est point sans doute un tableau de maître, mais c’est un bon tableau de maître-autel. M. Wœrtz semble avoir vécu au fond des monastères; il excelle à exprimer les figures sévères, les attitudes modestes et recueillies, les physionomies extatiques ou naïves des moines du moyen âge. Dans la Mort de saint François d’Assise, il a mis au service de ses qualités expressives un pinceau ferme et lumineux. M. Moreau (de Tours), qui a une piété moins fervente et moins continue pour la peinture religieuse, est hanté, même dans l’église, par le malin esprit. Dans sa Vision, le profane se mêle au sacré. Tandis qu’un moine se tient debout, en prières, entre le banc d’œuvre et l’autel, la fumée qui s’échappe de l’encensoir placé à ses pieds dessine dans ses légers tourbillons les contours d’une femme nue.

On conte que saint François d’Assise, pris d’un cruel désir de mortification, se dépouilla de son froc, et, nu jusqu’à la ceinture, se roula dans la neige et dans les buissons d’épines. Des moines de son ordre, le voyant ainsi, le relevèrent et voulurent panser les blessures qu’il s’était faites, « Laissez, dit le saint, en montrant