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saillie sur le corps, sort littéralement du cadre. Si l’on ne s’en tient pas à l’effet saisissant de cette figure et qu’on s’approche pour la mieux étudier, on remarque sous les empâtemens la fermeté du dessin des yeux, de la bouche et du contour du menton. On remarque aussi que sous prétexte qu’ils sont dans la demi-teinte, le cou est à peine ébauché et l’oreille n’est pas indiquée; c’est à ces ombres grises exagérées que la tête doit son surprenant relief et que la partie éclairée du visage doit la fraîcheur de sa coloration. Qu’importe ! cela est de la maîtresse peinture. Et quel beau caractère a le galbe ! M. Ribot peint avec la palette de Goya dans le style de Velasquez.

Dans nos derniers Salons, nous avons signalé les portraits de M. Maurin. Nous en louions l’aspect vivant, mais nous en critiquions l’exécution dure, peinée, détaillée. Ce jeune peintre ne nous faisait grâce d’aucune saillie, d’aucune dépression, d’aucune ride de la face humaine; il fouillait la pâte comme les sculpteurs en bois fouillent le buis. M. Maurin a adopté une facture plus large. Dans son Portrait de M. Rodolphe Julian, on sent bien des dessous solides. L’arcade orbitaire, l’os malaire, les maxillaires, le temporal, l’élévateur, le masséter, tous les os, tous les muscles de la face sont écrits, mais le pinceau souple et gras enveloppe sous la chair l’ossature et la musculature. M. Julian est assis près d’un bureau de chêne, le corps de trois quarts, la tête de profil, le regard fixé devant lui. L’attitude est simple, naturelle ; le modèle est saisi dans son mouvement comme il est fixé dans sa ressemblance. La figure a beaucoup de relief, et la couleur n’a pas moins d’éclat.

Il y a deux portraits équestres au Salon, sans parler de l’amazone en gris de M. Élie Delaunay, qui est la moitié et la plus noble partie d’un portrait équestre, mais à laquelle on est en droit de préférer l’effigie vivante et sincère du comédien Régnier. Le jeune cavalier de M. Wauters a arrêté son poney au milieu de la plage d’Ostende ou de Schéveningue. L’animal se présente de profil dans le sens de la toile; l’enfant, la main gauche appuyée sur la croupe, le haut du corps tourné de face vers le spectateur, dans une pose habituelle aux cavaliers en halte, regarde du côté de la ville. Peint largement par frottis très légers, ce tableau a du caractère et de la couleur. L’inspiration de Reynolds y est visible. L’œuvre de M. de Lalaing tient du tableau autant que du portrait. Un homme d’aspect sévère, presque dur, la face osseuse e glabre, la tête nue, les cheveux blancs taillés en brosse, le corps drapé d’un ample manteau d’ordonnance, passe à cheval, au pas, entre deux rangs de lanciers. Par sa place en colonne, cet homme serait tout au plus un capitaine; mais, par ta physionomie énergique et hautaine et par le grand style de son maintien, il paraît un chef de guerre. On ne