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en arrière, comme blessé du contact répulsif du monstre, et sa tête s’incline un peu en avant. Il ramène une de ses mains à la poitrine; le bras droit s’étend, la main à demi ouverte, dans le geste d’un homme qui argumente. Le Sphinx se dresse en arrêt, ses deux pattes de lion posées à la hanche d’Œdipe. Il fixe ses yeux sur les siens. L’action, le drame de la scène, sont concentrés dans ce croisement terrible des deux regards : le regard profond, calme, assuré du héros, le regard perçant, attentif et cruel du monstre. La figure d’Œdipe, d’exécution large et de grande tournure, a du mouvement, tout en conservant la sévérité statuaire. M. Lanson a été bien inspiré dans le choix du type, mâle et élégant. Œdipe est robuste comme un héros ; il n’a pas le développement musculaire d’un athlète. Le groupe présente de belles lignes, d’un aspect nouveau. Toutefois le mouvement de répulsion d’Œdipe, qui est si expressif, imprime au corps une inclinaison à droite trop accentuée. Il en résulte un écart entre les deux figures qui choque, surtout à distance. Le sculpteur ne sera pas le dernier à s’apercevoir de ce défaut d’équilibre et, avant de tailler son marbre, il saura resserrer les lignes du groupe. On appréciera mieux alors la grande valeur de cette œuvre, où M. Lanson a affirmé de nouveau son sentiment de la sculpture héroïque.

L’Aurore de M. Delaplanche est conçue dans le caractère anthropomorphique que les Grecs donnaient aux phénomènes de la nature. La déesse, dépouillant les voiles de la nuit, apparaît dans sa radieuse nudité au monde qui renaît. Sans être nouvelle, l’idée est poétique, et, sans être originale, l’attitude est belle. L’Aurore, les bras arrondis au-dessus de la tête, enlève d’un geste ample et majestueux la draperie qui la couvrait. Encore alangui par le sommeil, le visage a de l’expression et de la grâce. Souple, large, enveloppant la forme, la main du praticien glisse volontiers sur le détail. M. Delaplanche expose un plâtre auquel il faut être indulgent en faveur de ce beau marbre. C’est une femme assise, le buste cuirassé et une épée posant à côté d’elle. Elle tient un enfant endormi sur ses genoux et personnifie la Sécurité.

On reconnaît dans la Léda de M. Roulleau une contre-épreuve en ronde bosse de la Léda de Paul Baudry. L’Eve de M. Guilbert est charmante, mais son visage tout moderne est d’une fille d’Eve plutôt que d’une Eve. Il y a du talent et peu de goût dans les figures de MM. Barrau et Bastet; la lourdeur du galbe, l’abondance de la chair, y sont sans égales ; si Courbet avait pétri la terre, ce sont de telles femmes qu’il en eût fait sortir. L’aimable Galatée de M. Marqueste présente des lignes plus gracieuses; le sculpteur pourra tirer parti pour le marbre de l’attitude pleine d’abandon, qui est une trouvaille, mais il devra donner de l’ampleur aux