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agneau dans ses bras. D’un modelé vif et délicat, cette figure est gracieuse et sans afféterie; elle ne déparerait pas un musée de la renaissance. Il faut féliciter le sculpteur de n’avoir point exprimé sur le visage d’Abel le sentiment de son malheur futur. La physionomie est calme et souriante. Ce n’est pas le personnage craintif, inquiet, larmoyant que peintres et sculpteurs ont représenté à l’envi. Qui ne paraît point en humeur de pleurer, c’est le Faune enfant de M. Suchetet. La sève vitale court dans ce petit corps, la joie pétille dans ses yeux, l’insouciant sourire de l’enfance voltige sur sa bouche. Assis à terre, il exprime d’une main le jus d’une grappe de raisin; de l’autre, il joue avec un masque scénique tombé du chariot de Thespis. Le dos est admirablement étudié; la poitrine, les jambes, la face surtout, sont au contraire comme estompés par le pouce et l’ébauchoir. C’est toujours le « faire blond. » Le vague où reste la tête a, il est vrai, un charme infini; mais comment M. Suchetet s’en tirera-t-il quand il lui faudra conserver cet effet sous la précision du ciseau? Ce faune menace de perdre au marbre; la terre cuite lui conviendrait mieux.

Le groupe de M. Boisseau symbolise la Défense du foyer. Un Gaulois nu, ne serrant plus dans sa main que le tronçon d’une épée, mais encore menaçant, fait face à l’ennemi. A ses pieds, sa femme, accroupie sur les talons, se cache le visage avec le bras dans un mouvement d’effroi justement observé. L’épouvante l’affole à ce point qu’elle laisse tomber son enfant sur ses genoux. Ici l’observation du sculpteur est en défaut. La mère, loin d’être surprise par un danger subit, éprouve une terreur progressive : elle doit alors presser instinctivement son enfant contre son sein. L’artiste ne craindra pas les attitudes convenues, si ces attitudes sont la nature même. Cette critique de détail n’infirme pas l’habileté de M. Boisseau pour composer un groupe, ni son sérieux talent de praticien, qui est ici d’une énergique vitalité. L’Ancêtre, statue de bronze de M. Massoulle, montre encore un Gaulois, coiffé du casque à ailettes et portant pour tout vêtement une peau de bête nouée autour des reins. Tite Live conte que les Gaulois se mettaient nus jusqu’à la ceinture quand ils étaient résolus à vaincre ou à mourir. Celui-ci a vaincu, car il appuie le pied sur la hampe brisée d’une aigle romaine ; mais, dédaigneux de ce trophée, il regarde seulement si la lame de sa grande épée ne s’est pas ébréchée dans le combat. Le groupe mélodramatique de M. Mathurin Moreau, les Exilés, manque aux règles les plus élémentaires de la sculpture. Bien que modelées en ronde bosse, les figures paraissent plates et minces et ne tournent pas plus qu’un bas-relief. Les têtes inclinées et mollement