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Les lettrés occupent le premier rang comme représentant la classe qui pense ; les agriculteurs ont la seconde place comme représentant la classe qui nourrit ; les manufacturiers jouissent aussi d’une assez grande considération en rapport avec leur industrie, mais la classe des commerçans est la dernière.

À vrai dire, les deux classes estimées et honorées sont les deux premières : elles constituent l’aristocratie de l’esprit et du travail. Nos gentilshommes ne pourraient inscrire dans leurs armes parlantes qu’une plume, — je veux dire un pinceau, — ou une charrue ; dans l’une, le ciel pour horizon ; dans l’autre, la terre. Ne semble-t-il pas que les seules préoccupations de l’homme aient été de tout temps tournées vers ces deux pôles, vers ces deux limites : le ciel, c’est-à-dire l’invisible et l’inconnu pour la pensée ; et la terre, que foulent les pieds, pour le travail manuel ? Ce sont les sources naturelles du labeur humain : nous en avons respecté la disposition pour fixer les distinctions sociales. Si la science est la plus haute des spéculations, la plus noble et la plus honorée, c’est qu’elle fait les hommes capables de gouverner et que c’est parmi les lettrés que se recrutent les fonctionnaires de l’état. Mais la préférence accordée aux travaux de l’esprit n’est pas exclusive. L’agriculture est également honorée, parce que la terre est le principal objet des taxes. Comparée à l’industrie et au commerce, l’agriculture est appelée la racine, et celle-ci les branches.

viii. — les lettrés.

Tous les individus appartenant aux quatre classes dont j’ai parlé dans le chapitre précédent sont admis à prendre part aux concours publics qui décernent les grades. Ce droit est, en lui-même, plus précieux que tous ceux qui sont inscrits dans un code célèbre, emphatiquement nommé les immortels principes, ou les Droits de l’homme. Il n’existe nulle part dans le monde un principe plus démocratique ; et je m’étonne qu’on n’ait pas songé à l’adopter dans les contrées occidentales, où les immortels principes n’ont pas encore assuré le meilleur des gouvernemens et l’état social le moins imparfait.

Les grades, qui s’appellent en Chine comme dans d’autres pays de l’Occident, le baccalauréat, la licence et le doctorat, ne sont pas de simples diplômes témoignant de l’étendue relative des connaissances dans les lettres et les sciences. Ils ont un tout autre caractère, en ce sens qu’ils confèrent des titres auxquels sont attachés des droits et des privilèges. La chanson de Lindor ne serait pas comprise en Chine, et les vœux u d’un simple bachelier » ne seraient pas aussi modestes.