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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/608

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J’ai été singulièrement surpris de constater combien les grades universitaires étaient peu honorés. Le grade de bachelier, par exemple, est absolument déconsidéré, et par ceux qui ne l’ont pas obtenu, — naturellement, — et par ceux qui en ont subi l’examen. On n’avoue pas qu’on est bachelier ; on ne demande pas à quelqu’un s’il est bachelier ; cela serait aussi déplacé que de demander son âge à une ex-jolie femme. Quant aux grades de licencié et de docteur, les personnes seules qui veulent se livrer aux études sérieuses et se consacrer à l’enseignement supérieur prennent la peine de les obtenir. Mais le grade de docteur n’est pas une distinction qui crée un emploi et embellit une carrière. On peut être docteur ès-lettres ou ès-sciences et solliciter une place très humble dans une administration sur le pied d’égalité avec un ignorant. Ce sont là des anomalies qu’on m’a assuré être régulières, et j’ai constaté que, malgré ma répugnance à admettre de telles assertions, je devais les accepter comme vraies.

Je me demande encore, après dix années de séjour, après des études nombreuses, quel peut être, dans les institutions du monde occidental, le principe vraiment digne d’être appelé démocratique ou libéral. Je n’en vois aucun, et personne ne m’en a montré un qui le fût aussi excellemment que le droit d’admission de tous les citoyens aux concours conférant les grades. On m’a bien parlé du suffrage universel, mais c’est une rose des vents ; c’est un principe sans principes ; et c’est se faire une singulière opinion de l’opinion publique que de s’imaginer qu’elle pourra se manifester, par décret, à une époque précise, tel jour, à telle heure. Chose curieuse ! on ne pourrait pas proposer l’élection des académiciens par le suffrage universel sans se rendre ridicule, et on admet que ce soit le même suffrage qui choisisse les législateurs ! Je crois que ceux-ci sont plus difficiles à discerner que ceux-là. Que faut-il conclure ?

Où est la récompense accordée au travail opiniâtre, éclairé par une noble intelligence ? Si vous êtes pauvre, n’ayant pour richesse qu’un nom honorable et l’ambition de le bien porter, pourrez-vous, par l’étude seule et par ses succès, vous assurer un nom dans les fonctions de l’état ? Pourrez-vous vous élever, par le seul crédit de votre science ? Pourrez-vous lui demander de conquérir pour vous un droit ? Pourrez-vous obtenir par elle seule les honneurs et la puissance ? En Chine, oui ; en Europe, non.

Ce n’est donc pas sans raison que je prétends que nos coutumes sont plus libérales, plus justes et plus salutaires : car les plus instruits sont les plus sages, et ce sont les ambitieux qui tourmentent la paix publique. Exigez, pour remplir les fonctions élevées de l’état, le renom du mérite le plus élevé, comme on exige pour les fonctions militaires la bravoure éprouvée, le culte de l’honneur, et la science