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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/611

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sit ordinairement les ministres de l’empereur. Je n’ai pas besoin de dire d’après cette énumération que la vie d’un lettré se passe en examens.

À vingt ans, en Europe, le temps est arrivé pour la plupart de laisser de côté l’étude et de commencer à l’oublier. Nous, nous commençons à élever notre ambition, c’est-à-dire à espérer un nouveau grade auquel correspondra un accroissement d’honneur et de fortune.

La hiérarchie chinoise n’est pas fondée sur l’ancienneté, mais sur le mérite. Le grade fixe la position ; et plus la position s’élève, plus il faut de mérite pour en être le titulaire. On n’aurait pas l’idée chez nous de se moquer d’un chef de bureau, par cette simple raison qu’un chef de bureau est nécessairement plus capable qu’un sous-chef. La hiérarchie par l’ancienneté est une erreur : ce n’est pas le crâne dénudé qui fait le mérite, et les jeunes attachés aux ministères m’ont suffisamment édifié sur les défaillances de l’ancienneté pour me faire d’autant mieux apprécier la sagacité de nos gouvernans d’en avoir supprimé la cause.

Rien ne peut donner une idée des démonstrations de joie qui accueillent la nouvelle d’un succès remporté dans les examens. J’ai vu en Angleterre et en Allemagne, c’est-à-dire dans les deux seuls pays où il existe des universités, des processions d’étudians, des fêtes de félicitations qui certes ne manquaient pas d’entrain ni de grandeur. Mais en Chine ces réjouissances ont une grande extension et sont extrêmement populaires.

Les cérémonies qui se font dans la famille sont aussi pompeuses que celles du mariage : les parens se réunissent d’abord au temple des ancêtres pour leur faire l’offrande de l’honneur qu’ils ont reçu ; puis, des festins magnifiques sont donnés à tous les membres de la famille et à tous les amis. Pendant plusieurs jours, on se livre à toutes les manifestations de la joie la plus vive. L’élu est porté comme en triomphe. Lorsqu’il va annoncer la nouvelle de son succès à ses connaissances et aux membres de sa famille, un orchestre de musiciens l’accompagne ; ses amis se tiennent autour de lui portant des bannières de soie rouge et lui font cortège. Il est acclamé par la population comme un roi qui aurait remporté une grande victoire. Sur les murailles de sa demeure sont affichées des lettres portant à la connaissance de tous le succès que l’élu a remporté. Ces mêmes lettres sont envoyées dans toutes les familles avec lesquelles l’élu entretient des relations.

Naturellement, l’éclat de ces fêtes et de ces honneurs n’est pas fait pour ralentir l’ambition des candidats. Toutes ces solennités attisent l’émulation et excitent ceux qui ont conquis les palmes