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de les transporter ? Nous avons une raison sérieuse pour nous efforcer d’acquérir en cette matière des idées justes. Le ministère de l’instruction publique a manifesté l’intention de créer des universités, et nos facultés délibèrent sur un questionnaire qu’il leur a proposé. Il est clair que l’exemple de l’Allemagne sera invoqué au cours de cette discussion, où il peut à la fois guider les esprits et les égarer. La critique d’un livre sur les universités allemandes a donc, en ce moment, un intérêt tout particulier : elle est une occasion de retracer la physionomie des universités allemandes, de faire bien voir que quelques-uns des traits qu’on y admire sont purement germaniques, de chercher à quelles conditions nous constituerons des universités françaises, et de dire enfin quels services notre pays en pourrait attendre.


I.


« L’enseignement supérieur, dit en très beaux termes le père Didon, s’étend à tout le savoir humain, quel qu’en soit l’objet, aussi bien à la nature, dont la raison expérimentale observe les phénomènes et formule les lois, qu’à l’homme intelligent, libre, actif, et à Dieu même, que la raison métaphysique et le sens intime nous révèlent et nous démontrent. La théologie et la philosophie, la métaphysique et les sciences positives, les systèmes et les faits, la doctrine et l’histoire, la littérature et les langues, les individus et les sociétés : tout entre dans son domaine encyclopédique. Il y a mieux ; certains arts d’ordre plus idéal, ou plus nécessaires à la vie humaine et dont l’exercice suppose souvent des esprits de premier ordre : la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, l’agronomie, la guerre, sont encore compris dans le royaume sans limites de l’enseignement supérieur, tel qu’il est cultivé dans nos sociétés civilisées. À vrai dire, ce royaume contient tout ce qui sert à former les grands cerveaux. » C’est l’enseignement supérieur ainsi défini que donnent, d’après le père Didon, les universités allemandes. Bien différentes des écoles spéciales, qui n’étudient qu’une partie du savoir, les universités en rapprochent toutes les parties pour en composer la synthèse. Les écoles recherchent l’application de la science : les universités aspirent à la science pure ; les écoles forment les grands ouvriers qui appliquent les découvertes : les universités élèvent les chercheurs qui vont à la découverte. Au lieu que les écoles sont le règne de l’action, les universités sont le règne de la lumière. En un temps où les limites du savoir reculent sans cesse, un esprit isolé désespérerait de trouver par ses seules forces l’unité de la science : les universités, groupe d’hommes associés pour une œuvre de géant, la font voir à tous les yeux, « Comme les circon-