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mode, mais on a la mauvaise fortune de donner une collection presque complète des modes des quinze dernières années. On y voit des chapeaux roussis, des devans de chemise et des cravates rebelles, de grandes oreilles, de grosses pommettes, des coudes longs. Il y a des exceptions, mais rares : dans ces auditoires se font des cours de philologie, d’histoire, de mathématiques, de sciences naturelles. » Ces auditoires sont ceux de la faculté de philosophie, qui correspond à nos deux facultés des sciences et des lettres ; ces étudians sont de futurs professeurs de gymnases. Chacun vit donc chez soi, et même la faculté de philosophie se divise et se subdivise en compartimens : les philologues n’étudient pas la littérature ; les historiens n’étudient pas la philologie ; à plus forte raison, littéraires et scientifiques, pour parler comme en France, vivent isolés les uns des autres.

Voilà des universités et des étudians qui ne sont point ceux du père Didon et des critiques par lesquelles ses éloges sont contredits de point en point. Où est la vérité ? Elle est des deux côtés à la fois, et nous rencontrons ici une de ces « choses allemandes » que l’histoire seule peut expliquer.

Tout le monde sait que la France a donné à l’Allemagne, au déclin du moyen âge, le modèle des grandes corporations universitaires. Or le moyen âge pouvait aisément cultiver la science, parce que la plupart des métiers, dont l’apprentissage s’impose aujourd’hui à la jeunesse, n’y existaient pas, et il embrassait aisément la science universelle, l’universel étant alors très restreint. Il a donc imaginé les quatre facultés des arts, de théologie, de droit et de médecine, et mis, sans scrupule, dans la première le trivium, grammaire, rhétorique, dialectique, et le quadrivium, arithmétique, musique, géométrie, astronomie. Ce système a été introduit en Allemagne après qu’il avait donné en France ses plus beaux fruits et qu’on avait commencé à y sentir une décadence que la guerre de cent ans, le triomphe de la monarchie, la disparition de la vie provinciale, d’autres causes encore allaient précipiter. Nouvelles en Allemagne, au moment où des idées nouvelles se levaient dans les esprits, les universités les ont accueillies. Elles n’ont pas seulement fêté « l’humanisme, » c’est-à-dire la renaissance : de Wittemberg est parti le cri de guerre contre la vieille église, et c’est en qualité de docteur et de professeur que Luther a conclu contre Tetzel comme savant, et en remontant aux sources qu’il a cru retrouver le vrai christianisme. Dans les universités aussi, le catholicisme s’est défendu, faiblement d’abord, comme un ennemi surpris par une attaque, puis avec vigueur. À ce moment, les universités acquirent pour jamais le droit de cité dans la vie nationale, et elles franchirent la passe difficile de cette période où sombrèrent tant de débris de l’ancien monde. Il