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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/634

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est vrai que lorsque les luttes de la réforme furent closes, après avoir épuisé l’Allemagne, les universités semblèrent avoir perdu toute raison d’être : théologie querelleuse, érudition pédantesque, formalisme et formules en toutes choses, stérilité, ces mots résument un siècle de leur histoire. Pourquoi n’ont-elles pas disparu ? Parce qu’alors rien ne disparaissait en Allemagne. Ce pays dormait d’un sommeil où ses forces, — forces redoutables longtemps méconnues, — se conservaient dans une sorte d’engourdissement. Les universités étaient comme ce château sur lequel un génie avait versé un assoupissement séculaire : la mauvaise herbe croissait dans les parvis ; des broussailles encombraient portes et fenêtres, mais elles étaient toujours là et elles attendaient. Lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’esprit qui allait renouveler l’Allemagne apparut, il n’eut qu’à écarter les broussailles, à extirper les herbes folles, et la vieille maison, en gardant son air vénérable, s’anima d’une vie nouvelle. Ce fut un grand bienfait pour la science allemande que l’Allemagne, au lieu d’être transformée tout d’un coup, évoluât lentement vers ses destinées futures. Si nos armes et nos idées y avaient fait table rase ; si le peuple allemand s’était trouvé uni sous un chef, après Leipsig et Waterloo, il eût fait de la besogne moderne ; l’état, qui ne se soucie guère de la science, aurait tout réglé sur son utilité : il aurait créé des écoles d’ingénieurs, d’officiers, de juges, d’avocats, de prêtres, de professeurs et dressé à son service les générations nouvelles, en gardant peut-être pour la parure scientifique, dont il veut bien d’ordinaire faire quelque cas, des corps savans et des académies. Il aurait à coup sûr laissé les broussailles recouvrir les vieilles maisons et abandonné à la mort trivium, quadrivium et facultés. Mais l’Allemagne ne dépouilla pas en 1815 tout son passé. Elle garda maintes institutions surannées, contre lesquelles protestait l’esprit nouveau, et, parmi ces institutions, les universités, où l’esprit nouveau, banni de la politique, allait se répandre à l’aise. Alors la science moderne agrandit et peupla les vieux cadres. Les anciennes facultés se transformèrent, et les universités devinrent des instituts de science universelle. Le moment était favorable : l’Allemagne était dans sa période héroïque ; l’inspiration de Kant ennoblissait les âmes ; Mozart et Schiller venaient de mourir, mais Beethoven vivait ; Goethe était dans la force de son génie ; Hegel et Schelling expliquaient le monde à leurs élèves. Si la mauvaise politique des souverains avait dissipé les grandes espérances du peuple allemand, l’esprit national se portait vers la vie spéculative et planait dans cet empire du ciel que les Allemands se réservaient au temps où ils abandonnaient la mer aux Anglais et à nous la terre. Il fut aisé à des philosophes comme Schleiermacher d’écrire la théorie de la culture scientifique, d’assigner