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en termes énergiques l’état misérable de notre outillage scientifique, le dénûment des laboratoires où travaillaient, au risque d’y perdre leur santé, nos maîtres les plus illustres, l’insuffisance de la Sorbonne, où la première pierre de bâtimens nouveaux, posée en 1855, attendait encore la seconde, de l’École de médecine, où il n’y avait place ni pour les travaux des maîtres ni pour les exercices des élèves. Cette misère des bâtimens, qui dans le nouveau Paris « contrastait si fort avec la grandeur imposante d’édifices consacrés à d’autres services, » était le moindre des maux dont nous souffrions alors. Le ministre signalait l’urgente nécessité de provoquer le progrès dans l’enseignement scientifique dépourvu de tous les moyens de travail, et dans l’enseignement littéraire, exposé à la décadence s’il dédaignait l’érudition qui féconde les lettres. Il avait déjà, lorsqu’il écrivait ce rapport, créé l’École des hautes études, où il avait appliqué les deux règles essentielles de la réforme : donner au maître les instrumens de travail et grouper autour de lui les élèves. Aux facultés des sciences et des lettres, réduites à faire devant un auditoire inconnu des leçons de vulgarisation, il rappelait que « l’enseignement supérieur est fait pour mettre l’étudiant au courant des méthodes et lui apprendre la science que les méthodes ont créée. » Il proposait de revenir à la règle ancienne des trois leçons hebdomadaires, dont une serait « pour le public qui veut entendre parler de science et de littérature, » les deux autres étant des « conférences intimes » réservées aux élèves. Le ministre avait commencé à trouver ces élèves en instituant auprès des facultés des écoles normales secondaires où de futurs professeurs se préparaient aux grades universitaires. Il demandait la création de bourses d’enseignement supérieur pour accroître ce premier groupe d’étudians, et, en même temps, pour aider les facultés dans leur tâche nouvelle, il proposait d’y introduire de jeunes docteurs ou même des agrégés, qui accroîtraient le personnel si restreint des maîtres. Enfin, comme conclusion de ce beau programme, M. Duruy réclamait un effort énergique pour attirer les esprits vers la science et souhaitait que cet effort s’étendît aux provinces, « où nos anciennes universités ont jeté un vif éclat et où quelques foyers se rallumeront peut-être un jour. »

Ce programme, dont on peut dire qu’il est la charte de notre enseignement supérieur, a été suivi jusqu’à présent, de point en point, dans ses moindres détails. Il a inspiré les diverses administrations qui se sont succédé, et, depuis 1868, un progrès continu s’est fait, grâce à la patriotique clairvoyance de ministres comme MM. Waddington et Jules Ferry et à l’habile et persévérant travail de deux hommes qui ont continué, à travers de difficultés de