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LA
PUISSANCE COLONIALE
DE L’ANGLETERRE

L’extension progressive et continue de la puissance coloniale de l’Angleterre est un des grands spectacles qu’offre l’histoire. Pour accomplir ce grand ouvrage, il a fallu que l’infatigable complaisance de la fortune vînt en aide à la tenace obstination d’un peuple. Les commencemens ont été fort petits et semblaient annoncer moins un dessein préconçu que les incertitudes d’une volonté qui se cherchait. On ne savait pas trop ce qu’on faisait, et les premiers succès ont étendus à la faveur des circonstances plus qu’au talent ou à la vertu. En politique comme en littérature, les œuvres les plus admirables sont les plus involontaires, celles où l’intention paraît le moins. Pour préparer Homère, il a fallu toute une génération d’aèdes, de compositeurs de ballades, la plupart fort médiocres, sans autre règle que leur instinct, incapables de gouverner leur talent et qui chantaient comme chantent les oiseaux, sans pouvoir ajouter une note à l’air que leur enseignait la nature. Ensuite est venu le génie, et ces ballades ont produit l’Iliade. Pour créer l’empire colonial dont la Grande-Bretagne est si justement fière, il a fallu une longue préparation, un ensemble de circonstances fortuites et d’essais incohérens. Les intérêts particuliers ont servi au bien commun; tout s’est arrangé par une sorte de fatalité. Les Anglais ont été mis au monde pour dominer sur les mers comme les abeilles pour faire du miel ; ils se sont abandonnés à leur destinée dès qu’ils l’ont connue.