son vrai nom, ne serait-il pas plutôt encore d’un excellent rhétoricien? Aussi, quand je vois l’abus que M. Richepin en fait dans ses Blasphèmes, suis-je tenté de croire qu’il y a dans ce volume bien des pièces déjà vieilles de plusieurs années, et comme qui dirait trop d’exercices d’écolier, — du temps que M. Richepin appliquait à des sujets défendus les leçons de ses maîtres. Il est au moins certain que la facture générale de la Chanson des Gueux était infiniment plus large et plus libre que celle des Blasphèmes. Là-dessus, je me reprocherais de ne pas ajouter que, s’il sait développer une idée, M. Richepin sait aussi composer un volume. Comme sa Chanson des Gueux et ses Caresses même, ses Blasphèmes se tiennent; on y discerne un commencement, un milieu et une fin. C’est ce qui donne parfois l’illusion de l’ampleur du souffle et de la longue haleine. Je dis l’illusion et l’illusion seulement, parce qu’au fond, comme tous les rhéteurs, M. Jean Richepin compose par le dehors. Il commence par se tracer un cadre, et ce cadre, il songe alors à le remplir, et avec du temps, de la patience et de la « virtuosité » surtout, en effet il le remplit. Apres tout, cela vaut peut-être encore mieux que de n’avoir pas de cadre du tout. Les poétereaux d’aujourd’hui ne se doutent pas comme nous sommes lassés des confidences et des confessions dont ils nous assassinent, madrigaux ou sonnets, idylles ou élégies qui ne sont qu’autant de feuillets détachés du livre banal de leur vie. Cette science relative de la composition, ai-je besoin de dire que c’est toujours à la discipline de l’École normale que la doit M. Richepin ?
Mais s’il fait beaucoup d’honneur à ses maîtres de rhétorique, l’auteur des Blasphèmes en fait peut-être moins à ses maîtres de philosophie. Les mots sont gros, dans son livre, il faut en convenir, mais les idées y sont bien minces. Assurément, si les doctrines que M. Richepin s’est proposé « de frapper jusque dans leurs avatars les plus subtils ou les plus séduisans » n’avaient jamais dû soutenir de plus rudes assauts que les siens, beaucoup d’entre elles seraient aujourd’hui moins branlantes qu’elles ne le sont; mais si c’est là ce qu’il appelle « être allé plus loin que l’on ne fît jamais dans la franche expression de l’hypothèse matérialiste, » c’est vraiment de sa part une grande ingénuité, qui ne va ni sans quelque ignorance de l’état des questions, ni sans quelque ingratitude pour Lucrèce, — après l’avoir tant imité. Et puis on ne se dit pas de ces choses-là à soi-même; on ne se les dit pas même quand on aurait le droit de les penser; et à plus forte raison, quand, comme l’auteur des Blasphèmes, on ne l’a vraiment pas. Lorsque l’on n’a rien trouvé de plus neuf, de plus original, de plus fort « pour tuer l’idée de Dieu » que de sommer Dieu, s’il existe, de se prouver sur l’heure en foudroyant Jean Richepin, cela peut bien fournir une strophe ou deux, plus ou moins heureusement frappées, mais on a donné du même coup sa mesure, et je ne vois pas