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pourquoi l’on refuserait de croire à la descente parmi les hommes de Krichna, le Purucha suprême, ou aux cinq cent cinquante naissances de Çakya-Mouni, le Boddhisattva. Dix lignes de Voltaire, bien choisies, ou une page de Diderot, prise au hasard, contiennent plus de venin que tous les Blasphèmes de M. Richepin. C’est que, pour blasphémer utilement, j’entends pour opérer des conversions à son absence de doctrines, il lui faudrait une consistance, une autorité de penseur qui ne s’acquièrent pas précisément à jouer Nana-Sahib ni à écrire la Glu, ou au moins, à défaut d’une telle consistance, une originalité qu’il ne nous a pas été possible de découvrir dans les Blasphèmes.

Il n’y aurait que demi-mal si l’originalité de la forme rachetait ici la pauvreté du fond. Les poêles, après tout, ne sont pas tenus d’être si grands clercs en matière de métaphysique; d’autres qu’eux trouvent, combinent, et en les combinant diversement renouvellent les idées; on estime que les poètes ont assez fait pour elles de daigner les reprendre et les revêtir d’une forme qui les éternise. Les Blasphèmes n’éterniseront rien, pas même l’impiété de M. Jean Richepin, attendu que si le fond n’en vaut pas grand’chose, la forme n’en vaut guère mieux. La langue en est généralement bonne, comme nous l’avons dit, mais le vers de M. Richepin est généralement dur. Il sent l’effort; l’effort pénible et laborieux. Avec cela le remplissage y abonde, et depuis longtemps on n’avait vu pareille accumulation d’épithètes à la rime.


Où je vais ? Au pays fabuleux des chimères,
Vers les cieux enchantés ou les âmes en fleurs
Sont divins rossignols et non merles siffleurs,
Où nulle volupté n’a de rancœurs améèrs,

Que l’on ne connaît point les plaisirs éphémères,
Que suivent pas à pas les regrets querelleurs.


C’est de la prose habillée d’adjectifs.


Je viens vous confier mes angoisses secrètes...
……………………
Vous êtes des essaims d’abeilles travailleuses...
……………………
Et quels mots délirans, quels râles insensés...
Des anges effarés, lamentables et beaux...
Je le réchaufferais sur mon cœur impavide...
Ah ! ne la laissez pas dans les deux infinis...


Il va sans dire que, comme nous avions pris les six premiers vers dans un seul sonnet, c’est dans une seule pièce aussi, la Requête aux étoiles, l’une des plus remarquables du livre, que nous prenons ceux-ci. On se demande quelquefois ce que valent ces brevets d’habileté technique