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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/718

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comme pour ma vie publique, c’est moi-même que je consulte et que je crois, et non pas le monde. Je n’ai donc jamais voulu d’autre moyen de fortune que l’ordre. Je me suis promis une fois pour tomes de ne jamais tenir compte, dans ma vie publique, d’aucune considération d’intérêt privé. J’ai agi de la sorte jusqu’à présent, je ne changerai certainement pas. »

Cet homme éminent par le caractère comme par l’intelligence avait aimé grandement le pouvoir, il en dédaignait les avantages ou les attraits vulgaires, et si la politique ne lui avait pas ménagé les mécomptes, il gardait toujours en lui-même une force secrète et préservatrice. Il avait deux grandes ressources pour se relever de toutes les épreuves. Il avait d’abord le travail de l’esprit; l’activité qu’il ne pouvait plus déployer dans la politique, il la consacrait à l’étude, à des recherches nouvelles sur la révolution d’Angleterre, à cette Histoire de France qui a été sa dernière occupation. C’était la revanche d’un grand esprit contre les évènemens. Et puis il y avait en lui un fonds de confiance, même d’optimisme, qui tenait à sa nature, qui ne s’est jamais épuisé. Que de fois, et aux heures les plus troublées de la restauration, et dans les crises des premières années de la monarchie de juillet, et dans les crises bien autrement graves de 1848, et depuis, que de fois il s’est défendu et il a cherché à défendre ses amis des découragemens meurtriers ! Il y a bien longtemps qu’il écrivait familièrement : « Je suis décidé à ne pas croire que la société française a grandi pendant trois siècles pour s’abîmer tout à coup dans la boue et pour en être à tout jamais contente... » Et après les effroyables événemens qui venaient d’accabler la France, dans les dernières années de sa vie, lorsqu’il sentait la mort s’approcher, il écrivait encore à Mme Mollien : « Je laisse le monde troublé. Comment renaîtra-t-il ? Je l’ignore, mais j’y crois. Dites-le, je vous prie, à mes amis; je n’aime pas à les savoir découragés... » C’est ainsi qu’il opposait atout la sereine intégrité d’une âme forte, d’un esprit puissant, et c’est l’intérêt, la moralité, pour ainsi dire, de ces Lettres nouvelles de faire revivre encore une fois un homme qui reste un exemple de fidélité à la cause libérale, à la dignité intellectuelle et à l’honneur.

De tous ceux qui ont vécu en ce temps que représente et rappelle M. Guizot, qui, avec quelques années de plus ou de moins, ont été de cette génération parlementaire d’autrefois, combien ont déjà quitté ce monde? La mort les moissonne; elle, vient d’enlever encore, presque inopinément, un homme qui avait gardé la jeunesse du cœur, la bonne grâce, la vivacité de l’esprit, M. le comte d’Haussonville, sénateur, membre de l’Académie française. Depuis sa jeunesse, M. d’Haussonville était dans la politique. Après avoir servi dans la diplomatie à Bruxelles, à Naples, à Turin, où il s’était lié d’amitié avec M. de