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aidant, les vieilles sources ne suffisaient point à qui se plaît à paperasser à travers les correspondances, les archives et les publications de toute sorte, tant étrangères que françaises. L’histoire n’est pas seulement une science, elle est aussi un art qui vit de couleur et de plasticité; les matériaux ne varient pas, et chacun y prend ce qu’il y trouve. Nulle période n’a mieux travaillé que la nôtre à la « découverte » de la renaissance italienne, et, parmi les ouvriers de l’heure actuelle, nul n’a plus mérité que M. de Reumont. Ses longs séjours dans la péninsule, où des fonctions diplomatiques l’appelèrent à résider pendant des années, d’abord à Rome, puis à Florence, ses relations mondaines, sa pratique des choses d’état, son goût passionné pour la littérature historique et moderne, font de lui une physionomie à pan, une source plus ouverte que Ranke et non moins profonde. Ses ouvrages ont réponse à tout, quelle que soit la question qu’on se pose sur un sujet concernant l’Italie du passé ou du présent; son Histoire de Toscane, son Laurent le Magnifique, se lisent comme des romans ; rien du professeur et du savantasse, l’homme du monde dans l’érudit et dans l’artiste, le dilettante, comme chez Thierry et Macaulay. A côté de pareils noms, on éprouve un peu d’hésitation à citer l’auteur de Florence et ses Vicissitudes, et pourtant ces laborieux volumes, quoiqu’ils aient beaucoup vieilli, peuvent encore être consultés avec fruit sur l’organisme de l’état toscan, ses finances, sa magistrature, ses rapports très indépendans avec l’autorité ecclésiastique. Il a plu à Sainte-Beuve, dans un de ses Lundis, de s’égayer aux dépens de M. Delécluze : c’était, en effet, un écrivain fort contestable, mais qui possédait un trésor d’informations diverses et qui, ne l’oublions pas, eut une fois dans sa vie la bonne fortune d’inventer un petit chef-d’œuvre : Mademoiselle de Liron. Son livre de Florence et ses Vicissitudes est une de ces élucubrations sans littérature que des archéologues écrivent pour des archéologues; la forme y manque, mais non la compréhension des événemens. Je n’ai jamais connu d’auteur aussi absolument détaché de ses propres œuvres que ce parfait galant homme, d’une culture si variée et d’un si pauvre style. Comment n’a-t-il pas trouvé grâce près de Sainte-Beuve? On aimerait à s’en instruire; mais un autre intérêt nous réclame, et tout ceci posé en manière de prologue, abordons les faits.


I.

Les pierres de Venise suent l’histoire; à Rome, à Florence, les palais sont isolés, de longues suites de maisons les séparent les uns des autres, il leur arrive même souvent de se morfondre obscurément