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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/778

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M. de Laveleye, à améliorer les procédés de fabrication, si chacun recevait un traitement ? » La concurrence, à côté des maux qu’elle produit, a cet avantage d’être un procédé de sélection qui force au progrès. À cette concurrence des intérêts le socialisme serait obligé de substituer « l’émulation du travail, » une sorte de concurrence utopique des vertus. « Aussi longtemps, dit M. Schœffle lui-même, que le socialisme n’offrira rien de plus pratique, il n’aura pas d’avenir. » En d’autres termes, aussi longtemps que les hommes ne seront pas des sages ou des saints, le socialisme n’aura pas d’avenir.

Il y a d’ailleurs, contre l’ingérence de l’état dans la production, une objection préalable que méconnaissent les socialistes. L’état ne peut intervenir avec profit que là où se trouve à remplir quelque fonction qui soit : 1o générale et constante ; 2o « mécanisable » en quelque sorte. L’état convient mal pour tout ce qui est flexible, variable, pour tout ce qui exige une intelligence pratique, du tact, un esprit d’accommodation aux circonstances. Un corps administratif est le plus souvent sans initiative, sans intérêt, sans responsabilité ; il ne peut être vraiment producteur.

Enfin les socialistes et collectivistes, dans leur état imaginaire, oublient toujours l’existence réelle des autres états rivaux, ainsi que la nécessité de lutter avec eux dans l’industrie. En ce moment, la concurrence étrangère ne cause chez nous que des ruines partielles : si l’état, en France, se chargeait de diriger la production et ne réussissait pas dans la concurrence européenne, ce serait pour nous la ruine totale. Le socialisme ne pourrait exister que chez un peuple isolé, se suffisant pour produire tout ce dont il a besoin, et protégé contre ses voisins par une sorte de muraille chinoise.

Reste la troisième opération économique, qui est la distribution des richesses. C’est sur ce point qu’une certaine intervention de l’état est le plus admissible. En effet, si la production et la consommation sont individuelles dans leur essence, l’échange et la circulation des valeurs, ainsi que la répartition des instrumens de travail, sont par définition même des relations sociales, dans lesquelles il y a toujours des tiers intéressés : on comprend donc mieux ici l’intervention d’un pouvoir régulateur. Faut-il pour cela attribuer à l’état ce qu’Aristote appelait la justice distributive ? Faut-il faire de l’état une sorte de Dieu distribuant les produits proportionnellement au travail et fixant la valeur des objets ? Cet idéal socialiste est encore une utopie. D’abord, dans la distribution des produits, par quelle évaluation scientifique déterminer ce qui est dû à chacun ? Puis, comment trouver pour les échanges une mesure absolue de la valeur, indépendamment de l’offre et de la demande ou du libre contrat ? Le socialisme contemporain nous propose pour mesure absolue de la valeur le temps de travail, « la moyenne des