Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/779

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

journées de travail. » Peut-on imaginer une mesure moins homogène, plus grossière ? « Et cependant, dit M. Schœffle, cette idée est le véritable fondement théorique du socialisme. » M. Schœffle reconnaît que cette idée a besoin d’être entièrement modifiée, car « la valeur des richesses est réglée non pas seulement d’après les frais, mais aussi d’après la valeur d’usage, c’est-à-dire d’après l’urgence et l’importance du besoin. » Ajoutons que la mesure du temps ne donne pas la mesure encore plus nécessaire de la qualité, ni la mesure morale de l’effort ou celle du talent. Newton, en une minute, peut faire plus d’effort intellectuel ou moral et produire plus pour l’humanité qu’un terrassier en toute une journée ; nous n’avons pas de dynamomètre pour l’effort intellectuel, encore moins pour l’effort moral. La science, pour séparer les couleurs élémentaires qui concourent à former la lumière blanche, a inventé le prisme ; mais quel prisme permettrait à l’état-providence de discerner, dans les résultats du travail à la surface de la terre, la part exacte de chaque personne ? Comment évaluer, dans tout produit, l’apport de l’individu et l’apport social ?

Nous sommes donc obligés d’en revenir à l’idéal plus pratique de la justice « commutative » ou contractuelle, où l’autorité de l’état est mise au service de l’égale liberté pour tous. L’état, sans prétendre distribuer lui-même à chacun selon ses œuvres, assure l’équité générale de la distribution et la justice des contrats. Il est le grand modérateur qui doit tenir la balance égale entre les libertés, entre les droits, entre les pouvoirs ; il est l’arbitre en cas de conflits ; il est l’intermédiaire entre un citoyen et un autre, entre un citoyen isolé et une association, entre une association et une autre, entre les particuliers et la nation, entre les associations particulières et la société entière, enfin entre les générations présentes et les générations à venir. En un mot, il est le garant de tous les droits et le mandataire des intérêts véritablement généraux.

Ainsi réduit, le rôle juridique et économique de l’état est encore considérable. A-t-il été jusqu’ici compris et exercé dans toute son étendue, au profit des droits de tous et des intérêts de tous ? Nous ne le croyons pas. Selon M. Leroy-Beaulieu, « l’état et les villes n’ont point le devoir de faire des sacrifices pour rendre plus égales les conditions humaines; il n’en ont pas même le droit. » M. Leroy-Beaulieu ajoute, il est vrai, que « rien ne leur interdit, par des prêts ou par d’autres mesures qui ne coûtent rien au contribuable, de venir en aide à l’amélioration du sort des classes laborieuses. » C’est déjà une importante concession ; mais le rôle attribué à l’état par le savant économiste nous paraît encore trop restreint. Le tort commun des économistes, à nos yeux, est précisément de croire que l’état n’a ni le devoir ni le droit de faire des sacrifices pour