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épuisé devait se rajeunir et se continuer dans leur île avec un caractère d’originalité très marqué. Une telle filiation explique la similitude très réelle que présentèrent, surtout au début, les productions des deux peuples et les confusions dont elles étaient autrefois l’objet. Des comparaisons plus nombreuses et plus attentives ont permis de constater entre elles des différences que nous voudrions essayer de préciser ici, surtout en ce qui concerne les représentations du paysage.

L’amour que les Japonais montrent pour la nature est bien justifié par la beauté de la contrée qu’ils habitent, et dont les voyageurs s’accordent à vanter les aspects pittoresques, la riche végétation, et l’éclatante lumière. Couverte de neiges éternelles, la cime du Fousi-Yama, qui domine de haut la baie de Yeddo, ajoute au charme de ces riantes campagnes son imposante majesté. Bien plus encore que les Chinois, les japonais ont le goût des fleurs et des plantes, et leur habileté horticole vient en aide à la richesse de la flore locale pour parer leurs jardins et leurs demeures. Mais leur organisation plus fine les a préservés des bizarreries que nous avons dû signaler chez leurs devanciers. Comme ceux-ci d’ailleurs, ils ont excellé dans les applications les plus diverses de l’art industriel. Sans doute, ils se bornèrent d’abord à copier les modèles qu’ils avaient sous les yeux. Nous citerions, au besoin, comme preuves de ces pastiches, les paysages compliqués dont sont ornées leurs plus anciennes porcelaines, et qui reproduisent ces amoncellemens de rochers aux formes étranges, superposés dans un équilibre aventureux, tels à peu près qu’on les retrouve chez les maîtres primitifs de l’Italie, de l’Allemagne ou des Pays-Bas. Mais les Japonais, en se dégageant de cette imitation servile, ont su trouver une expression d’art plus personnelle. Moins scrupuleux que les Chinois, ils ne s’attachent pas comme eux à reproduire minutieusement la nature jusque dans ses moindres détails. Leur interprétation plus libre laisse plus de part à l’imagination et à la pensée. La simplicité, la franchise du parti décoratif dénotent aussi chez eux des qualités de goût et d’observation tout à fait remarquables, et qui se manifestent également dans leur dessin et dans l’harmonie de leur coloris.

La répartition des masses indique à la fois une intelligence très nette de l’ensemble et un choix heureux des détails les plus significatifs. Bien qu’elle soit toujours très caractéristique, la silhouette de leurs compositions n’est cependant pas celle dont s’aviserait tout d’abord un décorateur élevé dans les traditions de notre art occidental. Elle offre, avec ses raccourcis audacieux ou ses brusques accens, je ne sais quelle grâce piquante et imprévue. Ces croquis à la fois très précis et pleins de sous-entendus, semblent, dans leur tour élégant, faire appel à notre collaboration : ils nous laissent le