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soin d’achever tout ce qu’ils ne finissent pas. Arrêtés et très fermes dans les contours les plus significatifs, ils n’insistent que sur ce qui est essentiel, et, sans se croire tenus de tout dire, ils ont le charme de ces confidences intimes qui n’ont pas besoin d’être complétées jusqu’au bout pour nous révéler un état d’âme très particulier. C’est telle attitude, telle intention fugitive d’une physionomie ou d’un mouvement où se montre un sens pénétrant de la vie et de ses acceptions les plus délicates ; c’est la courbe gracieusement infléchie d’une branche ; c’est un oiseau qui incline à peine la tige flexible sur laquelle il se balance, ou encore un vol de papillons qui folâtrent gaîment autour d’une fleur. Tous ces menus détails sont exprimés avec la légèreté spirituelle du pinceau ou de la plume de roseau qui les a prestement enlevés et dont l’abandon prête un charme de plus à leur image. Nous avons pu nous convaincre de la facilité, toute spontanée en quelque sorte, de cette exécution en voyant, à l’exposition universelle de 1878, de très jeunes Japonais, presque des enfans, improviser, sous les yeux mêmes des visiteurs et avec une virtuosité merveilleuse, quelques-uns de ces croquis où respire un sentiment si vif des vrais principes de l’art décoratif.

Le coloris des Japonais présente les mêmes qualités que leur dessin. Plus sobre, moins bigarré que celui des Chinois, il est aussi plus fin. Nous y remarquons ces intentions poursuivies, ce parti-pris décoratif, ces colorations puissantes ou tendres et nuancées dont la nature, sans doute, a fourni le point de départ, mais qui, par leurs combinaisons pleines de fantaisie et d’imprévu, révèlent aussi une admirable intuition des lois de l’harmonie. Une foule d’objets usuels nous offrent des expressions variées de ce goût exquis dont les Japonais font preuve dans leur style décoratif ; mais nous en trouvons les spécimens les plus accomplis dans leurs peintures sur papier ou sur soie, et surtout dans leurs albums. Dès le XVe siècle, on peut signaler parmi ces peintures d’intéressans exemples de la représentation de la nature. Tel est, entre autres, ce paysage de Sesshiu, emprunté à la collection de M. Bing, et qui a été reproduit dans le bel ouvrage que M. Gonse a consacré à l’art japonais[1] : une vallée profonde qu’envahit un épais brouillard, tandis que les cimes des hautes montagnes qui bornent l’horizon, émergent au-dessus de la zone des vapeurs. Nous y voyons, figuré avec une grande vérité, un de ces effets atmosphériques dont ni l’art des anciens, ni celui des Chinois ne nous offrent aucune trace. En revanche, dans d’autres tableaux, beaucoup plus récens, attribués à Bountshio, nous retrouvons ces accumulations de rochers et d’accidens

  1. L’Art japonais, par M. Louis Gonse, 1883. Quantin, t. I, p. 194.