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que nous avons eu l’occasion de signaler chez les Chinois. Quel que soit d’ailleurs l’intérêt que présentent ces divers ouvrages, et sauf les différences résultant d’une habileté plus ou moins grande, les moyens d’expression employés ne varient guère aux diverses époques, ni chez les divers artistes ; tous dérivent des mêmes principes, paraissent sensiblement pareils, sans jamais refléter cette intime personnalité de sentiment ou de facture que nous admirons chez les paysagistes de l’école moderne.

Quant aux albums japonais[1], bien que leurs illustrations soient traitées en ébauches assez sommaires, la nature y apparaît avec sa merveilleuse richesse et sous tous ses aspects. Le brouillard, la pluie qui raie le ciel, le vent qui courbe la végétation, la neige qui étend son linceul sur la campagne désolée ou bien le retour du printemps avec la gaieté de ses fraîches floraisons, tous ces motifs pittoresques y sont rendus en quelques traits justes, expressifs, et qui ne laissent aucune incertitude sur les intentions de l’artiste. L’accord de ces traits entre eux, la façon dont ils concourent à l’effet, l’étonnante sûreté avec laquelle les blancs et les noirs sont répartis, l’impression saisissante qui en résulte, expliquent assez la vogue dont ces albums ont joui dans ces derniers temps. Les plus remarquables sont dus à un artiste apprécié dans son pays, et sur lequel le docteur Andersen et M. F. Dickins nous ont laissé de précieux renseignemens, complétés récemment encore par M. Gonse. Né en 1760 à Yeddo, où il est mort en 1849, Hokousaï est l’auteur d’innombrables croquis de sujets sacrés ou empruntés à la vie familière, entremêlés de quelques-unes de ces charges plaisantes dans lesquelles excellent les Japonais. Vers la fin de sa vie, il se sentit de plus en plus attiré par le paysage, et c’est à ce moment qu’il a retracé les sites les plus remarquables de la campagne aux environs de Yeddo, notamment le Fousi-Yama, auquel il a consacré une série de cent vues qui nous montrent le célèbre volcan sous toutes ses faces, par tous les temps, à toutes les heures. Sachant voir, Hokousaï, avec une extrême sobriété de moyens, sait aussi exprimer ce qu’il voit, d’une manière à la fois concise et piquante, pleine d’originalité et de hardiesse. Tantôt son pinceau délié court légèrement sur le papier, tantôt il s’épanouit ou s’écrase même pour placer çà et là, avec une désinvolture charmante et toujours au bon endroit, un accent ou une tache qui nous renseignent du même coup sur la forme des objets et sur leur coloration. La vivacité de l’esprit qui conçoit va ici de pair avec la dextérité de la main qui exécute, et pour quiconque a manié un crayon, il y a plaisir et profit

  1. C’est la bibliothèque de Leyde qui possède la réunion la plus nombreuse de ces recueils dont, pendant son séjour au Japon, le docteur Siebold avait formé la collection.