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le recommanderait particulièrement à notre attention. Aussi, quand nous voyons les écrivains de l’antiquité vanter ses peintres à l’égal de ses sculpteurs, il ne faudrait pas conclure d’une manière trop absolue à l’infériorité des premiers, puisque nos observations ne peuvent porter sur aucune de leurs œuvres les plus célèbres. Il est plus que probable cependant que cette infériorité est réelle. Tout concourait, nous l’avons dit, à faire de la sculpture l’art par excellence chez les Grecs et la représentation du paysage, nous le savons, n’est guère du domaine de cet art. Quant à la peinture à laquelle appartient cette expression, il lui aurait fallu pour y arriver disposer d’une technique plus complète, qui lui a fait défaut pendant toute l’antiquité. Ces oppositions vigoureuses ou cette légèreté de touche, ces formes précises ou flottantes, ces tons opaques ou transparens que réclame impérieusement une étude attentive des effets de clair-obscur et de la lumière, sans lesquels le paysage n’existe pas, tous ces moyens d’expression, seul, l’emploi de l’huile a permis de les obtenir. Privée de ces ressources, la peinture des anciens était condamnée, surtout dans le paysage, à ne pas dépasser un niveau moyen et à se mouvoir dans un cercle assez restreint.

Des aspirations trop confuses et des influences trop diverses avaient d’ailleurs provoqué le mouvement qui poussait la littérature et l’art à chercher leur renouvellement dans la nature. Il n’était pas, comme en Hollande dans le temps modernes, déterminé par les aspirations intimes d’une même race à une même époque. C’est en Égypte sous les Ptolémées, c’est en Sicile, puis à Rome, qu’il était apparu successivement dans la science, dans la poésie, et dans l’art. Les artistes grecs auxquels les Romains avaient bien été forcés de recourir ne pouvaient guère que se conformer aux goûts des cliens qui les employaient. L’habileté un peu banale de leurs ouvrages suffisait aux satisfactions de ce public encore peu exercé. C’étaient d’agréables décorations qu’on attendait d’eux, et leur variété, leur facilité hâtive semblaient préférables à des qualités plus élevées et plus sérieuses. Si tous les genres de paysage que nous avons vu cultiver dans les temps modernes se trouvent représentés à Pompéi, ce n’est qu’en germe et d’une manière tout à fait sommaire. On ne pouvait d’ailleurs attendre davantage du génie romain, peu fait pour goûter dans sa profondeur ce sentiment de la nature dont les peuples du Nord surtout ont su exprimer toute la poésie. Les nobles beautés ou le charme gracieux de la campagne italienne devaient attendre longtemps encore avant de trouver dans Poussin et Claude des interprètes dignes d’eux.


EMILE MICHEL.