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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/907

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de canon, c’est-à-dire à trois ou quatre cents mètres, pendant une tempête, ce général qui s’avance et dont on ne sait pas le nom, ce dialogue que personne n’a entendu et qu’on croirait tiré d’une pièce de Ponsard, tout cela n’est pas déjà si clair et voudrait être expliqué. M. Forneron se contente de nous renvoyer, dans une note, aux sources royalistes. Elles sont précieuses, assurément, et l’on se formerait difficilement une idée juste du désastre de Quiberon sans les avoir conseillées. Mais encore faut-il distinguer et n’accepter les invraisemblances ou les exagérations qui s’y rencontrent que sous bénéfice d’inventaire. En histoire comme en justice, dans les causes du présent comme dans celles du passé, les dépositions les plus véridiques et les plus désintéressées ne sont pas toujours celles des témoins oculaires ou des acteurs. Lorsqu’un homme a été mêlé à quelque événement tragique, il est bien rare qu’il résiste à la tentation d’y ajouter quelques traits qui l’assombrissent encore. C’est une façon de vanité comme une autre. Il semble qu’on se hausse soi-même en grossissant les choses. Peut-être aussi s’en exagère-t-on les couleurs ou les proportions, par cela seul qu’on les a vues de près. En 1870, lors de la retraite de Wœrth, — qu’on me pardonne ce souvenir personnel, — je rencontrai de fort braves gens, d’ordinaire très calmes et très mesurés, qui étaient devenus tout à coup extravagans et qui de très bonne foi vous débitaient des contes à dormir debout. Leur compagnie tout entière avait été tuée; du régiment il ne restait qu’eux (trois officiers et quinze hommes). Quant au colonel, il avait eu la tête emportée par un obus et son régiment avait continué de charger pendant un demi-kilomètre. J’étais horrifié. Trois semaines après, je retrouvai à Sedan ce même régiment, fort éprouvé, certes, mais encore assez nombreux, Dieu merci ! pour bien sabrer. Les Prussiens s’en souviennent.

Les exagérations de cette nature, bien qu’il y en ait, ne sont pas les seules que contiennent les relations royalistes ; mais elles pèchent d’une façon tout aussi grave, à ce qu’il semble, par les contradictions dont elles fourmillent. Prenez-les chacune à son tour; il n’y en a pas une qui ne diffère de la précédente et qui ne soit, sur des points importans, en désaccord avec la suivante. Toutes elles affirment et toutes elles racontent la capitulation ; mais il n’y en a pas deux qui la racontent de même. D’après celle-ci[1], Sombreuil, se voyant perdu sur son rocher, se décide à tenir un conseil de guerre, et ce conseil est d’avis d’envoyer un parlementaire au général Hoche. Celui-ci répond par la proposition d’une conférence à laquelle se

  1. Mémoires sur l’expédition de Quiberon, par Louis-Gabriel de Villeneuve-Laroche-Barnaud, chef de bataillon, un des prisonniers échappés au massacre de Quiberon (1819).