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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/928

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à nos soldats d’attendre plus longtemps, l’arme au pied, que la fièvre les décime un à un, il faut donc résolument songer, ou à une évacuation définitive de Madagascar, ou bien à une expédition qui aille briser l’entêtement des Hovas. L’idée d’abandonner tout à fait Madagascar ayant été unanimement repoussée par la chambre et le gouvernement, il ne faut plus s’occuper que des moyens qui peuvent nous conduire au but sans une grande perte d’hommes et sans de trop grands sacrifices d’argent.


II.

Pour aller châtier les Hovas jusque dans leur capitale, il faut, dit-on, dix mille hommes de bonnes troupes. Or par une faveur du ciel, ils ont paru tout trouvés, puisque la paix qui a été signée avec le Céleste-Empire rendait disponible le corps d’armée que nous avions au Tonkin. Il faut bien le dire tout de suite; de ces dix mille hommes, combien en serait-il resté de valides pour guerroyer à Madagascar, après quelques semaines de débarquement? La moitié tout au plus, car les fièvres, les maladies, de nombreux postes à garder sur la longue distance qui sépare Tananarive des côtes de la mer, eussent immobilisé certainement l’autre moitié, si ce n’est plus. Que l’on parle de Tamatave ou de Majunga, la distance est de 70 lieues de ces deux points à la capitale. Et quel pays ! Sur le littoral, à l’est comme à l’ouest, au nord et au midi, des dunes couronnées çà et là par des maigres bouquets de cocotiers ; des baies nombreuses produites par des rivières qui rongent les terres et que bordent de tristes lataniers; des étangs empestés sur lesquels plane silencieusement le grand aigle pêcheur, où errent des échassiers mélancoliques. De loin en loin, quelques villages cachant leur toiture en paillotte sous les palmiers; puis, au dernier plan, une succession de forêts étendant indéfiniment leurs horizons bleuâtres. Pour jouir des montagnes et de l’air salubre qu’on y respire, il faut traverser ces dunes et ces forêts, les deux régions aux émanations mortelles. Et puis, sur les hauteurs, quels effondremens, quels abîmes, quels sentiers à pic à franchir! A Madagascar, il n’y a pas plus de routes carrossables que de mulets et de chevaux, et les Malgaches riches, de même que les résidens étrangers, sont tenus, pour voyager, d’avoir recours à des porteurs indigènes. A l’heure actuelle, il faut à un Européen qui veut se rendre des bords de la mer à Tananarive, douze mortelles journées, il faut emporter avec soi des vivres, un lit de campagne, une batterie de cuisine, et de plus être accompagné d’une domesticité complète,