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tombé le premier soir. Il en convient d’ailleurs, avec une franchise aiguisée de malice : « Presque aucune de mes pièces n’a bien pris d’abord; leur succès n’est venu que dans la suite : je l’aime bien mieux de cette manière-là. » Nous savons que jamais il n’eût pensé, si des mains amies ne l’eussent conduit sur le seuil, à frapper à la porte de l’Académie : « Dans les affaires ordinaires de la vie, déclare son biographe, il était incapable de se diriger seul; il lui fallait une tutelle prévoyante, surtout en matière d’intérêts, car sa négligence et son inaptitude dépassaient tout ce que l’on sait des artistes et des gens de lettres. « Nous savons que, lorsqu’il fut nommé, on tourna l’Académie en ridicule pour ce choix; on dit même « qu’à l’avenir elle ne trouverait plus de sujets. » Elle s’excusa de son mieux, par le ministère de l’archevêque de Sens, en modérant l’éloge du récipiendaire : tout ce que fit le prélat pour le fêter, après avoir averti qu’il n’avait lu ni ses comédien ni ses romans, fut de louer, d’après le témoignage d’autrui, « la multitude, la variété, la gentillesse de ces ouvrages. » Enfin, quand il fut mort et remplacé dans son fauteuil, son successeur, l’abbé de Radonvilliers, grand-oncle apparemment de l’abbé d’Il ne faut jurer de rien, n’imagina pour son panégyrique rien de plus particulier que ce témoignage : « Lorsqu’il en était besoin, il savait joindre aux richesses de la langue les ressources du génie. »

Encore une fois, c’est de Marivaux qu’il s’agit et non de M. Meilhac, lequel n’est pas de l’Académie française et Dieu merci! est bien vivant. Mais ne voilà-t-il pas une singulière suite d’analogies? Bien peu, parmi les pièces de MM. Meilhac et Halévy, ont eu la chance de plaire d’emblée à la critique : Froufrou même, leur chef-d’œuvre auprès des gens graves, a heurté d’abord un gros de censeurs : comparés aux feuilletons de la reprise, les feuilletons de l’origine paraissent s’appliquer à un autre sujet. La Petite Marquise, à son début, a eu ce malheur, plus affligeant, de déplaire au public; elle n’a pas encore achevé de le séduire. Si le théâtre entier de ces deux auteurs a pris une grande place dans les divertissemens de leurs contemporains, on admet qu’il vaut principalement par « la multitude, la variété, la gentillesse. » La plupart seront fort surpris s’il leur est assuré que ces coquilles de noix ont autant de chances et plus que tels gros bâtimens de flotter jusqu’à la postérité. Mais c’est surtout lorsqu’ils se hasardent dans ce grand bassin de la Comédie-Française, fait pour les pièces de fort tonnage, comédies sérieuses ou tragédies, c’est là surtout que ces légers ouvrages diminuent aux yeux de la foule. Le public de Marivaux, plus constant, plus homogène et mieux instruit que le nôtre aux choses littéraires, avait le goût plus fin et l’esprit plus délié : Voltaire pourtant se faisait méchamment son interprète, lorsqu’il reprochait à l’auteur du Legs de « peser des œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée. » Quoi de prodigieux aujourd’hui si beaucoup de gens