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en rappelant certains points de l’architecture féodale ; donner aux constructions nouvelles, malgré cette double apparence d’imitation, une physionomie qui fût bien à elles. M. Daumet a rempli avec un rare bonheur les conditions de ce difficile programme. Ni l’invention, ni le goût, ni la mesure ne lui ont fait défaut. Enserré dans cette enceinte irrégulière où les saillies massives et les angles rentrons sont là comme pour dérouter une attaque, gauchement assis sur des soutènemens de bastions défensifs et de tours offensives, ayant à faire une œuvre qui ne devait avoir rien que de pacifique sur des appareils exclusivement conçus en vue de la guerre, il a dû rompre avec les conventions, sortir des voies battues, et, ne pouvant rien demander à la symétrie, chercher dans l’harmonie tous les élémens de succès. Bien des objections se sont dressées devant lui quand on a vu tout d’abord, à l’extérieur, ces toits qui s’entre-croisaient, s’enchevêtraient, s’entre-choquaient, montaient comme au hasard les uns sur les autres. Il a patiemment attendu que le calme se fît dans les esprits et que les yeux s’accoutumassent à ce désordre savamment ordonné. Le calme est venu, et les yeux se sont trouvés finalement satisfaits. La critique, d’ailleurs, fut désarmée quand elle vit avec quel art toutes les convenances intérieures se trouvaient ménagées. Les difficultés qui avaient paru devoir faire obstacle au succès semblaient n’avoir existé que pour y ajouter quelque chose d’imprévu. On sortait de la routine sans tomber dans la bizarrerie. Regardez l’escalier d’honneur, qui se dégage avec tant de lumière d’une situation douteuse, pour devenir comme une voie triomphale par laquelle on accède de l’ancien châtelet au nouveau château. Voyez, au sommet de cet escalier, le grand vestibule, formant comme un trait d’union monumental entre les deux palais. Considérez la salle de banquet, si bien appropriée pour les tapisseries qui la décorent. Parcourez la galerie de tableaux, que domine la rotonde consacrée à Prudhon ; la galerie des vitraux de Psyché et le cabinet des gemmes qui lui fait suite ; la tribune, où les plus belles peintures modernes vivent dans une harmonieuse unité avec les plus rares chefs-d’œuvre des siècles passés ; les grands appartemens, d’où l’on a sur le parc et sur les eaux des vues qui ressemblent à des visions ; la bibliothèque, si heureusement ordonnée pour contenir les plus précieux trésors[1]. N’êtes-vous pas gagné par l’heureuse pondération qui règne entre toutes ces choses ? L’accord n’est-il pas parfait entre l’ancien châtelet, où les deux derniers siècles ont prodigué toutes leurs élégances décoratives, et le nouveau château, où les richesses

  1. cette bibliothèque ne fait pas partie du nouveau château, elle a été prise dans une dépendance du petit château.