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résolution généreuse qu’il avait prise de voler au secours de l’Alsace, sans en diminuer en rien le mérite. Dès qu’on était certain que quatre-vingt mille Prussiens allaient, au premier jour, passer la frontière autrichienne, le prince Charles était, par là même, contraint de reculer et d’évacuer l’Alsace sans coup férir. Il ne s’agissait plus que d’arriver à temps sur ses derrières pour changer sa retraite en déroute et précipiter dans le Rhin ses bataillons fugitifs. Une fois cette opération relativement facile accomplie, Louis prenait rang, du premier coup, parmi les souverains qui méritent la reconnaissance de leurs peuples et qui vivent dans la mémoire de la postérité. Ce triomphe était célébré d’avance, le 7 août au soir, dans un splendide souper qui fut offert par le roi à l’officier prussien et où la santé des deux monarques fut saluée à plusieurs reprises par de copieuses rasades. Le lendemain, le roi devait assister à un Te Deum chanté en remercîment d’un nouveau succès remporté en Italie par l’armée du prince de Conti, dont un des lieutenans, le bailli de Givry, venait d’enlever, sous les yeux mêmes du roi de Sardaigne, la forteresse importante de Château-Dauphin. Le départ pour l’Alsace devait avoir lieu le jour suivant.

Le matin du 8, le roi se réveilla avec un grand mal de tête et une grosse fièvre. On attribua cette indisposition soit à la fatigue d’un voyage très rapidement poursuivi par une chaleur excessive et sous un soleil ardent, soit au repas trop abondant de la veille ; en un mot, à un brusque changement de régime qui n’était pourtant pas assez complet, puisque les épreuves nouvelles n’interrompaient pas d’autres genres d’excès. Il fallut renoncer à assister au Te Deum et laisser partir seul en avant le maréchal de Noailles ; mais, dans les journées du 10 et du 11, le mal, au lieu de se dissiper, s’aggrava, et les médecins durent reconnaître qu’ils étaient en présence d’une fièvre putride d’un mauvais caractère.

Du moment que le roi avait dû garder le lit, les duchesses de Châteauroux et de Lauraguais, introduites par le duc de Richelieu, avaient voulu veiller seules à son chevet, faisant la garde avec soin, imposant le silence aux médecins comme aux domestiques, et ne laissant ni entrer ni sortir personne qui pût répandre au dehors les alarmes qu’elles commençaient à ressentir. Mais de tels secrets ne se gardent pas longtemps, et le mystère même, en cas pareil, accroît l’inquiétude au lieu de la calmer. On ne tarda pas à murmurer, dans l’entourage royal, contre une séquestration contraire à toutes les règles de l’étiquette et imposée par une compagnie si suspecte. Les princes du, sang présens à l’armée, le duc de Chartres et le comte de Clermont, rappelèrent très haut que, si quelqu’un entrait chez le roi, leur rang les autorisait à y pénétrer avant tous autres :