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Montmorency, agenouillé à la droite de son frère Charles, est né depuis trois ans seulement en 15M. Il est donc encore ici dans son premier âge. La petite tête, d’un rendu très naïf, est embéguinée d’un bonnet de linge blanc, surmonté d’un autre bonnet violet. Le devantier de la robe est blanc ; les manches, à crevés blancs, sont violettes. Tout devait être hâtif en cet enfant. À quinze ans, il fut fait prisonnier avec son père à la bataille de Saint-Quentin, et il fut tué à vingt ans à la bataille de Dreux. Le roi Henri II, comme en prévision de cette mort prématurée, lui avait donné le collier de son ordre en 1560, avant qu’il eût atteint sa dix-huitième année[1].

La figure de saint Jean l’Évangéliste, peinte en grisaille, surgit comme une apparition derrière le groupe des Montmorency. En plaçant le saint à l’arrière-plan et en le montrant comme un géant par rapport aux personnages agenouillés devant lui, le peintre a voulu marquer de combien celui qui a conquis l’immortalité est au-dessus des hommes soumis encore à la douleur et à la mort. Saint Jean n’a rien ici du voyant de Patmos. C’est l’apôtre bien-aimé. Vu presque de face, il incline sa jeune tête vers ses protégés et déverse sur eux la grâce qu’il porte en lui. De la main droite étendue, il semble vouloir les attirer à lui, tandis qu’il tient de la main gauche un calice surmonté d’un dragon. Le personnage est donc très nettement désigné par une de ses caractéristiques[2].

Sainte Agathe est peinte également en grisaille sur le vitrail opposé, le visage de profil à gauche et le corps presque de face, dans le même esprit d’apparition que saint Jean. Elle a la même grandeur surnaturelle et le même rôle de protection vis-à-vis de la femme et des filles d’Anne de Montmorency. De la main gauche abaissée, elle les présente à Dieu, tandis qu’elle tient de la main droite les tenailles et le sein mutilé qui rappellent son supplice et qui sont ses caractéristiques dans la représentation figurée des martyrs.

Au-dessous de la sainte est agenouillée en première ligne Madeleine de Montmorency, fille de René, légitimé de Savoie, comte de

  1. Anne de Montmorency eut un cinquième fils, Guillaume de Montmorency, seigneur de Thoré, qui ne vint au monde qu’en 1546, deux ans après l’exécution des vitraux d’Écouen. Il fut colonel-général de la cavalerie légère du Piémont, chevalier de l’ordre du roi, prit part à la bataille de Saint Denis, où périt son père, et mourut en 1594, laissant, d’Anne Lalain sa seconde femme, Madeleine de Montmorency, dame de Thoré et de Dangu, mariée en 1597 à Henri de Luxembourg, duc de Piney. Il brisait les armes de Montmorency d’une étoile d’argent sur le haut de la croix.
  2. Saint Jean, dit la légende, dut vider une coupe de poison afin de prouver la vérité de sa doctrine. On fit d’abord l’épreuve sur deux esclaves, qui moururent à l’instant. Puis l’apôtre prit la coupe, sur laquelle il fit le signe de la croix, et la vida sans ressentir aucun mal. Cela fait, il ressuscita les deux malheureux qu’on venait de faire périr. Le dragon s’échappant du calice figure le poison qui quitte le breuvage maudit, désormais inoffensif et comme désarmé par l’intervention du saint. (Père Ch. Cahier, Caractéristiques des saints, tome I, p. 172.)