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subitement cette correspondance s’interrompit ; elle avait duré trois mois, le temps que Bianca avait fixé pour sa propre certitude. Tous les doutes s’évanouissaient, toutes les illusions, et tant de gens intéressés à plaider le pour et le contre furent forcés de couper court à ce procès. Grossesse ou maladie, avait-on dit depuis six mois : il se trouva que c’était la maladie qui triomphait, un mal dont la science d’aujourd’hui n’eût probablement pas été la dupe, mais où les docteurs de ce temps perdirent leur latin. Une crise grave s’ensuivit pour Bianca, qui, après l’avoir heureusement traversée, écrit au cardinal ce billet (9 mai 1587) en lui annonçant, non pas ses relevailles, mais sa guérison : « Me voici rendue à la santé et svelte comme devant. Je vais à Pratolino passer la belle saison et continuer la cure qui m’a si bien réussi, » N’importe, la désunion subsistait toujours entre les deux frères, et cela au grand dommage des Médicis, dont l’influence allait diminuant, surtout à Rome. En 1586, était mort le cardinal d’Este, ami de Ferdinand et l’un des plus fermes soutiens de son parti, belle occasion pour les adversaires de relever la tête et d’entrer en campagne. Mais la chose veut être expliquée, et je cède à l’attrait d’autant plus que la politique du cardinal de Médicis inclina toujours vers la France.

C’était alors le moment de la prépondérance espagnole et du fameux rêve de monarchie universelle que l’imperturbable Philippe II réalisait en conscience avec l’or des Indes et les soldats d’Alexandre Farnèse. En Italie, Naples et Milan lui appartiennent : il marie sa fille au duc de Savoie ; il a conquis le Portugal, son Armada menace l’Angleterre, ses cousins gouvernent l’Autriche, un seul pays se dérobe encore à sa domination : la France. Mais le royaume est divisé ; catholiques et protestans se l’arrachent, et son pitoyable Henri III flotte au hasard des deux partis, également haï et méprisé des uns et des autres. Avec lui s’éteignent les Valois, après lui, plus personne qu’un hérétique. Amoindrir, disperser la France et l’amener à soi par lambeaux, voilà le plan où Philippe II s’applique, aidé de son compère le duc de Guise. On avait dans son jeu tous les atouts, il ne s’agissait plus que de se procurer un pape espagnol et, voyez le miracle, le conclave allait s’ouvrir à point nommé. Deux candidats en présence, l’un le cardinal Farnèse, cher à Philippe, l’autre, le cardinal Montalto, l’homme aux béquilles, candidat de la mort. Ce dernier, la France et Venise aussi et Florence le voulaient, par instinct plutôt que sur information, le maître diplomate attendant son heure pour envoyer au diable ses béquilles. Ce qu’on croyait savoir, c’est qu’il ne serait point l’âme damnée de l’Espagne, et cette simple supposition suffisait au cardinal de Médicis, qui fut le principal facteur de l’élection. Rien d’intéressant